vendredi 1 janvier 2016

2003


Dimanche 2 février
Que ce temps file ! Ne pas trop s'y arrêter, sous peine de malaise existentiel.
Février s'amorce et, à nouveau, silence radio de Heïm. Sa nouvelle promesse éditoriale va-t-elle aussi se limiter aux lyriques déclarations de principe ? Cela confinerait alors à la bouffonnerie.

Samedi 15 février
Hier soir, gourmande Saint-Valentin avec ma BB au Trocadéro, restaurant gastronomique du sixième. Au cours du vagabondage intellectuel, j’évoque ma position à l’égard des Gens du Nord, et de Heïm, en première ligne. La phase véhémente de ces derniers mois, volontairement outrancière, s’explique aisément par le besoin de contrebalancer des années d’adhésion a priori, à l’aveugle, à tous les constituants de cette vie partagée ; une adéquation moléculaire en quelque sorte. Démontrer aussi, par la mise en perspective des écrits et des actes, qu’une distance critique, aussi affirmée soit-elle, ne se traduit pas par de clandestins rapprochements avec ceux qui ont pris le large avant, parfois de plus fracassante façon. Pas d’intention de nuire, de désespérer davantage, mais l’impérative exigence de consigner un ressenti aux antipodes des croyances fusionnelles antérieures. Honnêteté intellectuelle du diariste en herbe, en fait. Très naturellement, au fil des années, ces assauts virulents contre certains présupposés de Heïm s’émousseront au profit d’une plus panoramique position.
Une entrevue avec ceux qui ont rompu avec Heïm ne pourrait avoir lieu, de mon fait, qu’après sa mort. Ne pas surajouter aux déchirures, par des rapprochements incongrus, conditionne ma réserve. Aucun esprit de ligue anti Heïm chez moi.


Lundi 26 mai
Juin approche et rien n’annonce la publication du Gâchis… j’aurais mieux fait de conserver l’info pour moi tant que l’ouvrage n’était pas effectivement sorti. A trop étaler des perspectives irréalisées, je dois apparaître un peu léger ou incapable d’obtenir les choses promises.
Là, c’est vrai, je n’irai jamais réclamer quoi que ce soit à Heïm. Plus aucune relation d’attente. Je demeure juste attentif à la réalisation d’une promesse vieille de presque trois ans. Que cela aboutisse ne serait que normalité ; si cela rejoignait les oubliettes, je me conforterais dans la défiance pour cet univers.


Mercredi 4 juin
Hier, réception d’un courriel d’Heïm m’informant des dernière dégradations physiques : le risque de paralysie d’un pied et le soin apporté par un produit réservé normalement aux enfants épileptiques. Rappel de la quarantaine d’heures de travail pour la mise en page du Gâchis et qu’il n’y peut consacrer qu’une heure par jour ouvrable… autant dire un report minimum de deux mois, avant la coupure d’août et une rentrée surchargée !
Le refrain m’est familier. J’ai renvoyé un courriel affectif, mais lapidaire. Pour l’anecdote, ces quarante heures de labeur m’avaient été annoncées il y a quelques semaines déjà, par message téléphonique. Elles semblent ne pas avoir réduit d’une seconde depuis lors : un labeur sisyphien en quelque sorte… ou une argumentation de moins en moins subtile… A la recherche d’un Gâchis perdu pourrait baptiser cette chronique éditoriale épisodique.


Samedi 26 juillet
A quatre jours de notre départ pour la Corse via Arles, Marseille et Nice, un courriel de Heïm dont l’objet spécifié ne laisse aucun doute sur le sujet du contact : « Gâchis ». Il m’annonce la parution pour avant le 15 août et me rappelle à nouveau le « boulot colossal qui a ralenti son travail de mise en page. » Si l’on ajoute un problème d’œil et sa grande difficulté à « rencontrer » Karl pour qu’il l’aide à finaliser le volume (entrevues qui seraient presque aussi rares que celles avec moi, depuis quelques années : l’allusion s’imposait !), je dois comprendre aisément le retard. A moins d’un nouvel impondérable, je devrais me lancer dans une rentrée promotionnelle pour tenter d’en vendre quelques exemplaires.
Heïm ajoute que s’atteler à publier un ouvrage qui traite d’un fiasco éditorial, alors qu’aujourd’hui les affaires vont très bien, lui fait une drôle d’impression. Hé ! Serait-ce une façon de charger un peu plus son ex entourage du désastre occasionné, maintenant qu’il dirige directement les activités ? A moi aussi, mais pour de toutes autres raisons, cette période m’apparaît comme une préhistoire de mon existence. Combien je préfère, si modeste soit-elle, mon atmosphère de vie actuelle. Pas l’impression d’être rentré dans le rang, car je reste réfractaire au fonctionnement de notre société, que j’ai fait des choix qui visent à me soumettre le moins possible à ce système (refus de la conduite, d’une démarche carriériste) et à rester très sélectif dans mon relationnel amical. Plutôt le sentiment de m’être trouvé, dans un équilibre, certes précaire, qui ne repose que sur ma propre responsabilité, sans dépendances ingérables.
Comme à chaque fois depuis cette prise de distance par rapport à l’univers de Heïm, je réponds sans m’étendre, assurant le minimum affectif, mais évinçant tout épanchement qui pourrait donner prise à d’inutiles gloses. Je n’éprouve d’ailleurs aucun chagrin. Salutaire éloignement pour les deux parties, ce qui subsiste tient à une fidélité aux liens passés et à d’éventuelles accroches intellectuelles, littéraires. Rien de plus ne pourrait germer, cela relèverait du grotesque réchauffé, de l’artificiel inassumable pour moi. Quelques manifestations écrites par an, une rencontre quelques jours à titre exceptionnel, et de plus en plus espacée de la précédente si les mêmes monomanies cathartiques s’imposent chez les hôtes : voilà ce qui a succédé à l’intense complicité en premier acte et au névrotique rapport du deuxième acte.

Mercredi 3 septembre
Je relisais hier les courriels échangés ces derniers mois avec Heïm : ses promesses successives pour qu’une nouvelle fois je ne vois rien venir. Quelles que soient ses raisons, le silence à mon dernier message (pour son anniversaire) relève de la pignouferie affective. Impossible d’avoir avec lui un rapport sain et carré d’auteur à éditeur. Je comprends mieux qu’il ait centré son action, ces deux dernières décennies, sur la publication de feux écrivains…


Mercredi 17 septembre
Clôture du compte Histoire locale qui ne fonctionne évidemment plus depuis belle lurette. Une façon de m’écarter définitivement de Heïm and Cie. Aucune manifestation de leur part, manquement complet à leurs engagements : qu’ils aillent se faire foutre tous autant qu’ils sont. Désintérêt total désormais, si ce n’est comme sujet de défoulement.


Samedi 27 septembre
Moins enthousiasmant, un énième message de Heïm, peu compréhensible à l’enregistrement, mais dont je saisis l’essentiel des antiennes : ses difficultés à obtenir l’exécution des ordres donnés (ainsi le contrat d’édition que Monique doit m’envoyer depuis un an, mais « tu la connais… »), le travail incommensurable, les aléas de santé… Heureusement que ce rythme éditorial n’est pas celui adopté pour MVVF, sinon la prestigieuse collection compterait vaillamment trois titres et demi depuis quinze ans, et non les presque trois mille. Quelle bouffonnerie, ce projet !

Lundi 27 octobre
Les manifestations sporadiques de Heïm (la dernière probablement provoquée par sa mise au courant par Karl que j’allais devenir propriétaire) ne me touchent plus. Je me sens totalement étranger à son univers, sans aucune envie d’avoir des nouvelles, ni moins encore de le visiter. Cet équilibre lyonnais m’a sans doute définitivement vacciné de tout regret envers ce monde idéalisé durant presque trente ans. Seules des relations duales, avec Karl notamment, pourront subsister. Même avec Sally la distance est en marche : à chaque entrevue d’inacceptables sous-entendus (la perfidie féminine) sur celle que j’ai choisie. Je devrai, un jour ou l’autre, recadrer les choses en posant comme condition à toute poursuite relationnelle la cessation de cette vase allusive. Relations qui se clairsemeront de fait puisqu’il est exclu que j’incite ma BB à m’accompagner. La hiérarchie s’impose naturellement : je ne verrai Sally que lorsque l’absence de ma dulcinée me le permettra. Mon existence s’affirme, depuis plusieurs années, ailleurs que dans ces rogatons de pressions pseudo affectives. Mon engagement pour BB doit au moins équivaloir en détermination (d’autant plus qu’il s’affirme dans la sérénité) celui de la défunte adhésion pour le monde de Heïm. Si je n’éprouve plus un iota de penchant pour cet univers, est-ce parce que je suis devenu un monstre insensible ou parce que l’épuisement réciproque a été tel que rien ne peut faire renaître chez moi une amertume, un regret, une envie… ?


Samedi 13 décembre
Quant au reste septentrional, aucun signe, et cela me convient parfaitement. Comme me semble loin cette période vécue pourtant si intensément ! L’impression d’un univers si étranger à moi aujourd’hui, qu’aucune parcelle de regret ne pourrait germer, même en me forçant. Contrairement à mon père qui a toujours conservé une certaine nostalgie de l’aventure humaine partagée avec Heïm, je n’éprouve moi que soulagement à m’être éloigné et indifférence pour leur devenir. Alors pourquoi écrire dessus ? Parce qu’intellectuellement cette transmutation spontanée m’intrigue et que je veux inscrire ma révolution psychologique en rupture extrême avec l’état qui a prévalu pour les dix premières années de la tenue de ce Journal. Les témoignages successifs sur mon ressenti forment une mosaïque littéraire à finalité purgative pour l’esprit.


Mardi 16 décembre, 23h30
La morphologie du visage barbu de Saddam Hussein m’a rappelé un visage naguère familier…


Mercredi 17 décembre
Fatigue, quand tu court-circuites la déjà faiblarde inspiration !
Mardi, vers 18h, message de Heïm sur mon portable. Auditivement alcoolisé, quelques rasades de Bison flûté ayant imbibé le désespéré, il m’adresse un discours peu cohérent, mais chargé d’antiennes. La non parution du Gâchis ? C’est maintenant la faute de Karl ! Cela ferait trois mois que Heïm se battrait vainement pour cette parution. Se rend-il compte du ridicule de cette justification ? Depuis quand sa détermination ne peut-elle plus obtenir une tâche professionnelle de son fils ?


Jeudi 18 décembre, 0h15
Mon intérêt pour rendre compte du message délirant semble pour le moins étiolé. Le contenu en vrac n’attire en rien la fibre enthousiaste, mais ferait plutôt remonter des atmosphères fuies. Les quelques photos de la réunion à Rueil, envoyées par courriel à Karl, lui sont tombées sous les yeux fortuitement et l’amène à la déclaration confuse de trouver ma « petite amie magnifique » (attribution à Shue d’un statut imaginaire), de faire allusion à ma mère (évidemment absente à cet endroit), d’évoquer le regret d’avoir payé un avortement (allusion à un sordide événement qu’il aurait géré avec Sally ?) et quelques autres énigmes du même acabit. Seule vraie et terrible information délivrée : le mari de Béatrice s’est pendu ! Heïm ajoute qu’il me révélera, si un jour je le revois, le nombre de gens qui, autour de lui, se sont supprimés « derrière leur dégoût ». Voilà en plein la logorrhée verbale à l’œuvre.
Décidément, rien ne va plus dans ma perception du personnage… L’indifférence doit expliquer ma difficulté à rapporter ces propos. Qu’à chacune de ses interventions il m’avance une nouvelle raison à la non parution du Gâchis confine au comique. Il lui faut bien tenir la promesse faite à mon père que ce Journal ne sera jamais édité. Dérisoire gesticulation épisodique. Je n’en veux pas de son incertaine volonté affichée de me publier. Restons en là, et que mon engagement à ses côtés croupisse à l’endroit adéquat.


Dimanche 21 décembre, 9h
Après mon courriel expéditif à Heïm, le premier du genre, nouvel appel que j’ai volontairement laissé pour ma messagerie. En résumé : il souhaite vraiment que ce Journal paraisse, mais il faut me tourner vers Karl, car lui ne peut plus rien et que le reste de la maisonnée (en clair Monique, son épouse et, peut-être, en seconde ligne, le couple Hermione-Angel) me voue une haine qui fait bloc contre cette parution.
Voilà qui me ravit ! Qu’il est doux d’être détesté par ceux que l’on découvre avec le temps pour ne plus éprouver à leur endroit que mépris et indifférence. Pour Heïm, il reste de l’affection et un intérêt humain qui me poussent à rapporter ses tergiversations plus ou moins alcoolisées, mais ses compagnes monomaniaques, quel terne sujet ! Leur abhorration (si cela est exact) m’est donc d’une douceur infinie…
Je vais donc suivre les conseils de Heïm, pour voir… Me tourner vers mon ami Karl et tenter de donner la dernière impulsion pour la sortie de ce malheureux Journal, dont la tonalité décennale s’éloigne de plus en plus de ce que j’écris aujourd’hui. Peu importe. Comme nous le répétions en cœur avec mon père lors d’une vive discussion avec Jim (et BB secondairement) sur le château, quelles que soient nos critiques actuelles, nous ne rejetons rien de ce qui a été vécu, sinon ce serait se renier un peu soi-même.


Mardi 30 décembre, 23h
Pour finir l’année, rien ne vaut une bonne confirmation de ses certitudes. Dès notre arrivée à Lyon, je vais consulter mes nouveaux courriels. Parmi eux, un de Heïm dont la méprisable tonalité m’a poussé à l’effacer sans l’imprimer, tellement écoeuré par la tournure d’esprit malfaisante.
Il m’offre un petit tour d’horizon des échecs de ceux qui se sont éloignés de son univers : les Béatrice, Alice, Hubert, Mad et Sally comme autant de confirmation de ce qu’il avait prévu pour chacun, comme autant de petites merdes rendant plus brillant son parcours. Le discours à la Pomponnette, me visant indirectement comme l’un des « ratés », s’impose en caricature.
Ce racleur d’informations, qu’il tourne à sa sauce pour maquiller sa propre déchéance, me donne la nausée. Il a dû bien gratter Karl et Sally, pour en savoir un maximum sur mon actualité professionnelle et sentimentale, le tout l’autorisant à ce dégueulis indirect sur mon compte. Et bien je l’emmerde le vieil alcoolo ! Et je ne veux plus entendre parler de son projet éditorial de merde ! Et qu’il ne dérange plus ma douce et tendre existence avec ces remugles d’une préhistoire de vie.
Ce qui le dérange dans la publication du Gâchis ? Que je malmène, vers la fin, un banquier de la Caisse d’épargne qui tardait à débloquer un prêt pour la SCI et qui, aujourd’hui, est tout amour et aurait permis de sauver la situation de cette structure et des finances du château, pour laquelle le feu patriarche n’était aucunement responsable ! Bien sûr, bouse et trahison ne sont les pratiques que des autres. Si ce n’est pas le modèle le plus détestable de l’opportunisme affectif et social… qu’est-ce ? A l’époque, il se contentait très bien que je m’occupe de ce dossier, et les retards existaient objectivement. Au prisme d’aujourd’hui, cela ne compte plus, et mieux : cela n’a jamais existé. Le révisionnisme malhonnête et permanent de son histoire ne pourra que laisser perplexe ceux qui voudront, sans parti pris préalable, étudier l’être dans sa globalité. Tout ce qu’il souhaite, c’est que je renonce moi-même à ce projet d’édition, le dispensant de renier sa parole, ou que j’accepte de repasser sous ses délires pseudo purgatifs. Il a gagné pour l’option première : je ne veux plus du Gâchis sans A l’aune de soi qui contrebalance la vision. Cela ne se fera donc jamais du vivant de Heïm. Je n’ai pas envie de lui offrir ce dernier plaisir ! Je cultiverai jusqu’au bout l’apparente distance affective, pour mieux noter ici mon rejet grandissant. Berner un manipulateur ne peut soulever l’indignation.

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