vendredi 1 janvier 2016

2002


Mercredi 3 avril
Déjeuner ce midi avec Sally, de passage pour la journée à Lyon. Quelques nouvelles éparses des gens du Nord et de certains membres de sa famille.
A noter la dérive violente du procureur Hubert qui, pour une peccadille, a « massacré » (terme de Sally) sa compagne en présence de sa mère. Les séparations-retrouvailles de ce sordide yo-yo sentimental s’achèvent (ou se poursuivent ?) dans l’abjecte violence maritale. Sa fonction de substitut du procureur, avec le sentiment de puissance qu’elle confère, n’a fait que renforcer des tendances bien présentes chez lui. Je me rappelle, rue Vercingétorix, les restes du défoulement sur sa petite amie d’alors : des cheveux par poignées. Le dépôt de plainte pour coups et blessures l’avait frôlé. Cette fois-ci, les conséquences semblent plus drastiques : perte de la garde sur l’enfant et risque de mutation professionnelle. Sally m’explique que cette tare, chez Hubert, trouve sa source directe chez sa mère. J’ajouterais que les discours et les comportements de Heïm à l’égard des femmes n’ont certainement pas fourni le meilleur des exemples au fils magistrat.
Agréable rapport avec Sally (je suis à nouveau invité, avec BB, à Royan pour une semaine en août), mais elle tente à chaque fois de me sensibiliser à une certaine actualité du château. Ses craintes quant au comportement de Hubert concernant la prise de possession du château, contre Vanessa, après le décès de Heïm, m’apparaissent comme un appel indirect. Je n’ai, là encore, pas voulu être désagréable et la mettre dans une position impliquant un choix affectif, mais je n’en ai aujourd’hui que foutre des soucis autremencourtois. J’ai suffisamment donné de ma personne, je me suis grillé quasiment à vie pour la gestion d’une société, j’ai vécu l’enfer du kamikaze social pour défendre les gens du château, pour dorénavant me désintéresser de ces péripéties supposées à venir. Par ailleurs, je ne possède plus aucune part dans la SCI du château, je reste simplement caution solidaire pour le prêt ayant permis son achat, et ce jusqu’en 2007. Voilà mon seul lien, pas le plus enviable… Le ton de cette prose suffit à démontrer que je me sens étranger à ce monde ou, plus exactement, aux reliquats d’un monde perdu. Seules des individualités retiennent mon affection : Karl et Hermione, notamment.


Jeudi 4 avril
Mon existence convole avec de modestes objectifs, mais la sérénité fondamentale s’est ancrée. Pas une perte de lucidité, je crois y voir bien plus clair, au contraire, sans approche engoncée de la vie. Fini le cérémonial inutile, les pertes de temps pseudo-cathartiques, les monomanies humoristiques, la dérision sans réelle autocritique, toutes ces dérives qui n’ouvrent que sur le sacrifice pour un intérêt vaguement général, et en l’espèce pour répondre aux exigences du chef de la mesnie embryonnaire (suite aux dégraissages successifs). Trente ans auront été nécessaires pour que j’intègre la critique dans mon approche de cet univers à part. L’équivalent du maximum de la part incompressible pour une perpétuité en France… Rapprochement hasardeux sans doute…
Lorsque Sally m’a annoncé que la nouvelle petite amie de Karl avait été bien perçue par Vanessa et Heïm, je fulminais en silence. Quand vont-ils s’arrêter de passer au crible les choix sentimentaux de chacun ! Sous couvert du bonheur qu’ils nous souhaitent, ils s’arrogent le droit d’ingérence psychologique et moral dans nos inclinations et dans la gestion de notre parcours amoureux. Voilà l’une des raisons profondes de mon retrait du château et de mon exil lyonnais : indigestion de ces pressions quasi quotidiennes si le moule n’est pas parfait. Ce clonage mental me pue au nez. Ces poussées littéraires contre les gens du Nord n’ont que la vocation d’alléger un chouia le passé dans ses sombres facettes après tant d’années dédiées aux seules louanges (que je ne renie pas, mais qui se trouvent, avec la perspective des traces présentes, amoindries).
Laisser l’empreinte, même non publiée, d’un regard désengagé, sans l’ombre d’une amertume (puisque je me sens beaucoup mieux dans cet éloignement), sur quelques aspects moins reluisants de la vie chez Heïm, répond à la plus humaine des traditions intellectuelles : rompre avec la pensée unique, quelle que soit la superficie de son territoire (en l’espèce une micro société).


Jeudi 18 avril
Je n’ai toujours pas appelé Heïm, et je n’en ai nulle envie. Je me sens vraiment étranger à son univers aujourd’hui. Hier, message de sa femme pour me signaler que le jugement de liquidation de la SERU devait m’être signifié. Mauvais goût qui remonte, j’espère qu’il conclura enfin ces années d’épreuve où l’engagement a tissé sa toile d’angoisse jusqu’à l’effondrement éperdu.


Mardi 21 mai
Il y a quelques jours, rêve (cauchemar ?) que les gens du Nord reprenaient contact pour un nouvel enrôlement professionnel avec toutes les angoisses adjacentes. Aucune envie de les revoir. La mort de Heïm changera peut-être la donne, mais je crois ne plus rien avoir à leur apporter, et réciproquement.

Mardi 4 juin
Plus de contact avec les gens du Nord, et c’est un soulagement. Je n’éprouve pas l’once d’un regret, d’une quelconque nostalgie face à mon éloignement. Les apports réciproques ont été largement épuisés.


Lundi 10 juin, 23h50
En début de soirée, appel de Sally pour prendre quelques nouvelles, et surtout être le relais des attentes des gens du Nord. Cette fois, demande de l’épouse de Heïm que je sois présent pour la fête des pères. Elle m’apprend la suite des dérives du fils Hubert à l’égard de Heïm, qu’il ne veut plus laisser son enfant au château car son père « violerait » tous les petiots de passage. Violer n’est pas adéquat, car le viol suppose l’absence de consentement…
J’ai évidemment décliné l’invitation pour cette mascarade très faiblement festive, prétextant des engagements pris par ailleurs (semaine et week-end programmés à Paris et à Londres). Même sans cela je n’y serais pas allé. Je trouve incongru de me retrouver parmi ces gens, que j’ai certes adorés, mais dont je ne partage plus du tout les perspectives existentielles. L’hypocrisie, ou le coup d’éclat, s’immiscerait nécessairement. Pas de temps à perdre avec ces ambiances trop longtemps supportées. Plus mon monde, définitivement !
Je ne leur veux aucun mal,  mais nos chemins se sont séparés et le rapport filial n’est plus.


Jeudi 27 juin
Aller au château d’Au, le premier week-end d’août, me partage : attirance affective, mais appréhension de retrouver les mêmes tics existentiels, les mêmes monomanies intellectuelles… Je ne souhaite évidemment pas exposer dans tous les détails mon ressenti par rapport à la vie passée partagée. Cela ne servirait qu’à rendre Heïm un peu plus malheureux, ce que je ne cherche pas. S’en tenir à cette parenthèse affective avec ce qu’elle peut apporter de bon : voilà le seul objectif qui, j’espère, est réciproque. En cas contraire, cela constituerait ma dernière visite.


Samedi 3 août
Une première partie du séjour tout en affection arrosée. Pas de volonté polémique et une surprise : nouvelle proposition de Heïm d’éditer mon Journal ! Il fait allusion à la promesse faite à mon père de ne jamais l’éditer pour mieux l’évacuer.
Très chaleureux de le retrouver, mais il a ressenti un léger malaise chez moi, depuis ce matin, et le fait est : je ne me sens pas vraiment dans mon élément, même si tout l’apparat affectif est déployé.
Dans les échanges avec Heïm, évocation de l’actualité de personnes plus ou moins familières : les "folies" du magistrat Hubert, la réussite du neveu Henri Lourdot (à la tête d’un des plus gros cabinets d’huissiers de Normandie), la vie de déclin d'Aude, les deux enfants (vus en photo) d’Alice, etc.
De mon côté, quelques révélations : notamment mon histoire charnelle très brève avec S et le projet d’un enfant avec BB à moyen terme. Sur ce dernier point, j’aurais peut-être mieux fait de m’abstenir. Je sens poindre la pression (gentiment abordée) de visite avec cette future progéniture…
En somme, une visite en forme de réconciliation, mais qui ne m’incline pas à intensifier le suivi. Une visite annuelle conviendra.
Quant au Journal, et son volume I (91-99) Un gâchis exemplaire, je prends cette nouvelle proposition avec beaucoup de circonspection. Pas d’emballement prématuré, mais si le livre peut effectivement exister, je ne vais pas me priver de ce plaisir.
Problème pour le volume II (2000- ?) que j’intitulerais probablement A mon aune, et dans lequel les critiques fusent envers Heïm et son entourage. Il faudrait être un imbécile inconscient pour proposer une version complète de ces années. Je vais donc envoyer à Heïm quelques passages ne comprenant pas les défoulements contre ma vie passée et, en cas de proposition éditoriale, je tronquerai ce volume des extraits les plus pamphlétaires sur le château pour les réserver à un Journal critique posthume. Puisque la stratégie a gouverné l’essentiel des actions de Heïm à l’égard des êtres, je ne vais pas me priver de l’être un peu à son égard. L’affection demeure totale, mais je n’ai plus cet enclin à œillères des années 90 où seule la cause du château comptait. Je ne veux de mal à personne, mais je ne bride plus mes réflexions dans le secret de ces pages.
Demain, allure pseudo familiale prononcée avec l’arrivée de Sally, Hermione et Angel.


Dimanche 4 août
20h. Comme prévu, la fin de la deuxième partie de séjour a dérivé vers la pseudo-catharsis. Un repas tout en affection, en bons mots, en ambiance chaleureuse et puis, progressivement, quelques éléments conflictuels ont émergé : ma nouvelle conception de l’existence, mon malaise dans ce cadre, la mise en relation de ma compagne (et d’un éventuel enfant) avec le château… Tous ces points d’achoppement qui ne me concernent plus. Je reste en lien affectif, mais je me sens de plus en plus étranger à ces volontés de réunir l’inconciliable.
Selon Hermione, je n’aimerais pas le beau de l’existence dans son optique constructive… Eh bien tant pis ! Qu’on me laisse à l’aune de ce qui me préoccupe. Cette adhésion systématique à des schémas de pensée dans lesquels je ne me reconnais plus restera une source de ruptures renouvelées. Qu’ils me prennent tel que je suis, condition essentielle pour la poursuite d’un rapport.
Vrai que ma conception de l’existence ne peut être approuvée par le couple Hermione-Angel. Doit-on pour autant se priver de se voir ? Peut-être n’a-t-on plus rien d’important à partager. Je sentais dans la voix de Hermione, déclarant beaucoup m’aimer, que rien de commun ne permettrait d’initier des rencontres. Le changement est bien, chez moi, irrémédiable, et sans l’once d’un désespoir. Mon épanouissement réside dans ma vie lyonnaise. Et ma BB me manque, son amour, ses baisers, son corps chaud, ses attentions constantes. La présenterais-je un jour ? Aucune envie de la mêler à cette théâtrologie existentielle qui finalement, même si l’intelligence est extrême, en revient toujours à des monomanies intellectuelles.
Pour finir, je n’ai pas vraiment envie que ce Journal paraisse. Que cela reste comme une expérience littéraire où je ne m’interdise rien dans la critique, condition d’une création équilibrante, mais rien du faiseur pour la pitoyable gloriole de l’ouvrage sorti. Je verrai si Heïm me relance, mais je n’aurai aucune démarche en ce sens. Tout cela ne m’intéresse plus.

Dimanche 18 août
Au Cellier depuis hier midi, bilan contrasté du séjour à Royan : agréable pour moi, source de malaises et de chagrin pour ma BB. Comme je l’avais appréhendé, le courant n’est pas passé entre elle et Sally. Avec beaucoup de subtilité, la maman de Karl a fait montre d’une certaine indifférence par rapport à BB, se limitant aux convenances basiques d’une hôte. Ce non-dit pesant, où ses allusions légèrement perfides ont blessé celle que j’aime. Sally ne l’a certainement pas fait dans cette optique, mais l’irrésistible penchant à imposer ses schémas pour le bien prétendu de ceux qu’on aime (déviance affective caractéristique du château) fait fi des personnes que l’on a choisies. La différence entre Sally et Heïm tient au moyen employé : le ressenti et l’implicite pour la première, l’éclatement cathartique pour le second. Cela me conforte dans l’impossible rencontre entre mon univers sentimental (et sans doute familial, si un enfant naît de notre union) et les gens du Nord. Je manque sans doute de jugeote analytique et psychologique, mais pourquoi ceux qui prétendent m’aimer davantage que ma famille de sang ont systématiquement miné mes relations de cœur, que je sois totalement impliqué dans leur vie comme avec Kate, ou désengagé de toute responsabilité clef lors de mon histoire avec Sandre ? La présentation de BB à mes parents et mes frères n’a pas connu de raté, bien au contraire. Heïm prétendrait que les médiocrités s’assemblent, et bien je crois moi que la véritable saleté d’âme c’est celle qui veut imposer ses vues affectives, qui ne peut s’empêcher (malgré les engagements pris) de dériver vers les vieilles monomanies destructrices du chemin que l’on tente de se tracer pour mieux modeler à ses vues, à ses principes celui qu’on dit affectionner. Seuls les résultats comptent : je me sens infiniment mieux aujourd’hui à Lyon avec ma BB que je ne l’ai été depuis 1990 où je décidais d’accorder de l’importance aux avis des gens du Nord pour ma vie sentimentale naissante. Erreur qui m’a coûté dix ans d’éprouvantes incompatibilités. La fausse tolérance affective masquait un implacable travail de sape. Avec Sally et ce séjour à Royan, j’en ai eu les derniers rogatons.
Eu Heïm rapidement au téléphone ; il me confirme le plaisir qu’il a eu à me voir malgré les regrettables dérives de la fin (un couplet éculé pour le moins !) et souhaite m’envoyer un courrier plutôt que m’ennuyer au téléphone. Nous verrons bien la teneur de cet écrit, s’il arrive... Pour moi, la position à adopter est claire : le double jeu. Le temps de la vertu naïve est révolu. Si Heïm souhaite conserver ce lien affectif avec moi, ce sera au rythme qui me convient, et cela constituera pour moi l’occasion d’approfondir ici mes vues critiques et mes observations sur cet univers fui depuis 1997 (et certainement depuis bien plus longtemps inconsciemment). Si Heïm souhaite finalement publier le premier tome de mon Journal pamphlétaire, je ne le refuserai pas, mais cela ne m’empêchera pas d’étoffer le deuxième tome (A mon aune) de la distance critique sans qu’il ne s’en doute (tout du moins dans cette proportion et avec ce ton). Heïm a toujours fonctionné à double, triple, quadruple jeu avec les êtres : je me sens aujourd’hui totalement légitime à agir comme cela avec lui, et ce jusqu'à sa mort. Il ne servirait à rien qu’il soit informé de mon vrai ressenti, et de la rupture philosophique, existentielle, qui croît en moi, si ce n’est à me couper définitivement de ce champ d’observations que je n’aborde qu’avec précaution et très épisodiquement, car il reste dangereux pour moi. Je veux garder l’opportunité de pénétrer de temps en temps cet univers pour ne pas m’aigrir dans une critique gélifiée, mais faire œuvre de contempteur aux prises avec une réalité en mouvement.
Avec Karl, toujours la même complicité, un être que j’apprécie infiniment car il semble respecter la voie que j’ai choisie et mes choix sentimentaux, même si la pression idéologique des gens du Nord s’avère puissante de facto.

Mardi 20 août
Amusante information prise chez Corentin et Lydie : Sally a un compagnon dans sa vie, un dénommé Philippe (et même un second, Bernard) qu’elle connaît depuis une vingtaine d’années. Son logis parisien se situe en fait rue de l’Université dans un magnifique appartement... Quoi de plus normal finalement, mais un tel goût du secret depuis tant d’années pour ceux qui côtoient Heïm tranche, lui, sur l’ordinaire. Je ne pense pas que son fils soit au courant de cette facette de la vie privée de Sally.

Vendredi 30 août
Encore un nouveau message de Heïm sur mon portable, me témoignant son affection et me confirmant le plaisir immense qui je lui ai fait par mon séjour. Il se dit désolé de la tournure que cela a pu prendre sur la fin, de mon malaise croissant, et espère que je n’attendrai pas deux ans pour une nouvelle visite. Renouvellement de sa proposition d’édition. Cette affection me touche intellectuellement, mais je ne ressens plus tellement d’inclination sensible à son égard. Mon mail d’hier redonnait mon accord pour la publication du premier tome. Je ne peux, en revanche, augmenter à plus d’une par an, sauf cas de force majeure, mes visites au château. Cela doit rester exceptionnel pour que les digressions cathartiques se limitent au minimum.


Vendredi 13 septembre, train Lyon-Genève, 11h
Hormis les messages affectifs, Heïm n’a pas relancé concrètement sa nouvelle proposition de publication du Gâchis. Cela devait-il tenir lieu d’appât affectif se dégonflant sitôt mes distances reprises ? Voilà ce qui me gène : pas de vrai rapport d’auteur à éditeur, mais une suite de circonvolutions rhétoriques sans prise avec la réalité. Je n’ai aucune envie de relancer l’affaire, car cela m’obligerait à un rapprochement affectif factice. Le désintérêt pour cet univers s’accroît chaque jour, et ma résolution à en faire état par écrit se renforce.


Dimanche 22 septembre
Comme je le supputais, les avances éditoriales de Heïm n’ont été suivies d’aucune concrétisation. Au fond, cela m’amuse et me conforte dans ce détachement instinctif qui s’ancre aux tréfonds de moi. L’esbroufe convivialo-affective, où la seule priorité est de faire perdurer les conditions de vie choisies par Heïm, cette « prison dorée » comme il aime à le scander, ne me touche plus. Derrière les constructions diverses et les évolutions matérielles, je ressens la mort par des certitudes gélifiées : les personnages sortis de la vie de Heïm, les Nicole, Mad et Alice notamment, sont diabolisées pour mieux légitimer le reste. Mes gueulantes littéraires contre Alice avaient certainement un peu de cette déviance, même si j’ai été blessé, dans le rapport si affectif (presque intellectuellement sexualisé) qui existait avec elle, de son histoire avec Leborgne.
Peu de temps avant que n’éclate sa résistance ouverte à Heïm, qui fera son chantage au suicide, elle s’était confiée sur ses doutes concernant son père, la tentative de viol de son frère aujourd’hui magistrat disjoncté, et sa rupture avec le fond de cette vie. Finalement, je n’ai fait que suivre le même objectif, mais sans esclandre inutile et auto-destructeur. Il faudra bien qu’un jour le monolithisme de la vie familiale de Heïm soit étalé et scruté avec plus de subtilité sans s’arrêter à la version d’absents qui auraient tous les torts.


Lundi 23 septembre
Nouveau rebondissement dans l’affaire de la publication du Gâchis, qui contredirait mes affirmations grognonnes d’hier. Heïm m’appelle en fin d’après-midi pour m’assurer de sa volonté de le faire paraître dans son entier, et pour me louer la qualité du style. Sa thèse pour justifier les atermoiements éditoriaux : une implication excessive qui lui a fait occulter les données purement littéraires. Le désengagement réciproque favoriserait l’émergence de l’œuvre seule. Les éloges sur ce Journal ne sont pas les premiers qu’il me faits et il attribue à son entourage les critiques persistantes. Voilà encore une mixture ambiguë. Enfin, l’essentiel est d’en rester à des rapports auteur-éditeur : il doit m’envoyer dans quelques semaines un contrat d’édition. De là, seule la parution de ce texte, et son dépôt légal, devront nous occuper, sans dérive. Je garde ici ma distance critique, mais je ne vais pas me priver d’une édition sur dix ans de mon existence, réalisée par celui-là même qui a monopolisé mon engagement total économico-juridique. La logique sera respectée et la page de cette tranche de vie résolument tournée. En fait, c’est l’existence officielle de cet instantané littéraire qui m’excite, mais je ne vais pas dévier mes choix existentiels pour autant.


Lundi 30 septembre
Finalement, je me sentais bien plus à l’étroit au château d’Au, où les seuls moments de répit psychologique se limitaient aux neuf mètres carrés de ma chambre, que dans mon antre lyonnaise. A son aune, c’est bien le titre qu’il me faut pour cette nouvelle trajectoire existentielle.


Jeudi 17 octobre
Toujours pas de contrat d’édition pour le Gâchis que Heïm me promettait dans la quinzaine suivant son appel, le 23 septembre dernier. Cela tourne franchement au gag éditorial. Même si le projet parvient un jour à son terme, je ne jugerai cela que justice au regard des multiples retardements et vraie-fausses décisions annoncées. En tout cas, cela ne me fera certainement pas interrompre la visée nouvellement critique de l’univers de Heïm, de sa gestion désastreuse de l’affectif et des jeux divers et manipulatoires qu’il pratique dans la relation humaine. Combien il est bénéfique pour mon équilibre psychique de m’être extrait de ce vase clos névrotique. Et si Sally, de son côté, peut-être en concertation avec Heïm, pensait que ses élans affectifs et son rapprochement allait me faire renouer de façon régulière avec le château d’Au, elle se trompe gravement. Le lien qui subsiste, au nom des trente années partagées (dans le culte de Heïm et/ou dans la forme de vie embrassée), ne donnera plus lieu qu’à d’exceptionnelles et brèves entrevues, sans jamais y mêler ma vie sentimentale (et peut-être familiale). La seule personne qui pourra une fois m’accompagner, par curiosité de cet univers, c’est Shue, en amie. Rien de ce qui fait ma sphère lyonnaise n’y sera convié. Si cela ne leur convenait pas, la rupture définitive s’en suivrait, et ce sans aucun effort de ma part. L’éloignement est tel que cette situation serait même davantage conforme à mon état psychologique que le ressassement sporadique du passé.

Dimanche 27 octobre
Toujours rien reçu de Heïm. Trop occupé, comme d’habitude, sauf lorsqu’il s’agit de manier les cordes affectives pour mieux se rassurer sur son impact persistant. Hé ! aucune aigreur de ma part. Le risible de cette proposition éditoriale toujours recommencée m’amuse plutôt et me conforte dans une méfiance grandissante envers l’auteur de ces promesses à la consistance barbe-à-papaïenne, si on me passe ce barbarisme bancal. Je ne veux même plus essayer d’imaginer l’argumentation justificatrice détaillée à ses proches. Le soubassement du vécu me suffit amplement pour l’éclairage critique.
Comment je serai perçu par cet entourage lorsqu’ils connaîtront la teneur de ces pages ? Sans doute de terrible façon, et bien tant pis si le simple exercice de la liberté d’écriture (au surplus dans un genre intimiste) les révolte. Il me faut d’autant plus contraster avec les dix premières années de ce Journal qui a souvent versé dans le laudatif systématique ou dans le silence approbateur.

Jeudi 31 octobre, 23h45
Mes retrouvailles affectives avec des parents qui, depuis qu’ils ont trouvé l’âme sœur (merci Anna et Jean) se sont comportés d’exemplaire façon avec moi, ne valent-elles pas mieux que le malaise diffus éprouvé en côtoyant les Gens du Nord ? Heïm et ceux qui lui sont proches ne peuvent que compliquer votre rapport au monde et hypothéquer la rencontre de votre vraie dimension. Il m’a fallu cet exil lyonnais volontaire pour enfin me rapprocher de ma nature, de mes aspirations (si modestes soient-elles) sans subir l’oppressante présence qui se targue de ne vouloir que votre bonheur. Tartufferie minante pour le moins. Il me faut, peu à peu, décortiquer à l’aune du vécu les failles, les travers et les dangers de cet univers que j’ai si passionnément défendu. Encore une fois, je ne renie rien de mes choix antérieurs, mais je trouve salutaire l’évolution intellectuelle et de se débarrasser des vérités révélées, de triturer les reliques imposées.


Dimanche 17 novembre
Le gag éditorial se prolonge comme prévu : toujours pas reçu le contrat d’édition pour la publication du Gâchis. Bien sûr Heïm me justifiera, le temps venu, cette nouvelle promesse non tenue, et il légitimera sa gestion du dossier éditorial à ses proches sans que rien ne leur apparaisse anormal… Pathétique seconde partie d’existence, tout de même… Et même si la publication est effectivement réalisée un jour, cela ne pourra occulter ces atermoiements, volte-face et double discours qui auront jalonné ses manipulations depuis un engagement pris il y a deux ans et demie.


Jeudi 21 novembre
Hier, message sur mon portable de Heïm qui, de façon pour le moins incongru, commence par un « bonjour, c’est papa ! ». Un peu, beaucoup déplacé aujourd’hui. Cet entêtement à faire de l’affectif m’irrite. Je préfèrerais des rapports amicaux efficaces dans les engagements pris. Son appel concernait une chose que j’aurais dû recevoir… peut-être, enfin ! un exemplaire du Gâchis, avant tirage ! Sans doute un peu trop irrespectueux comme ton… l’intimité du Journal doit tout me permettre ; c’est à cette condition essentielle que l’écriture conserve un sens. Cela permettra de rééquilibrer l’approche laudative des années 90.


Vendredi 22 novembre
Encore une manifestation de Heïm qui prouve que nous n’avons plus du tout la même optique dans le rapport à l’autre. J’attendais un contrat d’édition promis, voire un exemplaire prototype du Gâchis (puisqu’il m’annonçait hier, par message, un paquet) : je reçois deux nouveautés de ses activités éditoriales. L’Histoire d’Au et Le Pieu chauvache ! M’adresser la monographie d’une commune dont je me suis éloigné par suite de divergences existentielles avec son châtelain qui se voudrait seigneur des lieux, et l’une de ses œuvres relookée, alors que j’ai cessé de m’immerger dans sa littérature suite aux distances intellectuelles éprouvées, cela relève soit d’une insidieuse intention, soit d’une inconscience totale de l’évolution de notre rapport. Finalement, le contraste entre ce que j’attendais et ce que j’ai reçu m’amuse pour la relation de ces manifestations sporadiques. Je ne vais point m’en formaliser. J’attends toujours…


Dimanche 24 novembre
23h50. Enfin ! Coup d’accélérateur pour la parution du Gâchis. Réception d’un courriel de Heïm me demandant une courte notice biographique (je prends conscience à l’instant de l’omission de la mention du mémoire de lettres édité en 1996), une quatrième de couverture et une photo récente. Par souci de ne pas laisser traîner en longueur cette nouvelle impulsion, j’ai envoyé le tout par retour aujourd’hui. Fin de semaine prochaine je dois recevoir le contrat d’édition, alors qu’au début le bon à tirer me sera déjà parvenu. A moi de le retourner avant la fin du mois si je souhaite une sortie avant Noël, deux ans après celui de ma trentaine qui devait voir naître cet ouvrage. Prudence donc, mais je ne vais pas me priver de cet aboutissement peut-être proche. Ma position reste claire : je ne regrette pas les années du Gâchis, et je ne vais pas m’interdire sa publication même si je critique aujourd’hui une vie et un alentour dans lesquels je me suis beaucoup engagé.


Lundi 2 décembre, 22h
Nouvel éclairage sur son exploitation des défauts de ses proches, sous couvert d’un esprit de dérision qu’il se targue de s’appliquer à lui-même. Mon père vient de se libérer, grâce à un cardiologue inspiré, d’un problème pris depuis trente ans comme une tare insoignable et honteuse. En immense amitié avec Heïm à l’époque de sa vingtaine, il avait confié cette gêne digestive qui lui faisait remonter une partie de ses aliments, obligé alors de les mâcher à nouveau à la façon d’un ruminant. Cette confidence aurait dû rester à ce stade ou, éventuellement, permettre de recevoir un conseil judicieux pour y mettre un terme. Or, non seulement l’épanchement ne fut suivi d’aucune recommandation, mais Heïm se servit du secret pour ridiculiser mon père dans ses portraits au vitriol lors de repas catharsis. Finalement l’affaire était totalement bénigne, parfaitement résorbable, mais l’impact psychologique a fonctionné comme un carcan inhibiteur jusqu’à ce récent conseil médical. Illustration d’une certaine gestion de l’être humain avec pour seule ligne de mire : servir ses intérêts.


Mardi 3 décembre, 23h50
Trop alarmiste sans doute, mais je n’ai plus de nouvelles de Heïm depuis que je lui ai envoyé les éléments pour la publication du Gâchis. J’espère que cela n’augure que la préparation technique du tirage. A défaut, il passerait vraiment, à mes yeux, pour un pignouf affabulateur. Je ne peux y croire… à moins que cette stratégie de la douche froide soit la sanction allouée pour mon éloignement affectif. Je ne peux croire à cette nouvelle désillusion…


Samedi 7 décembre
Reçu hier un appel de Sally qui se demandait si nous aurions le temps de déjeuner avec elle à Paris lors de notre passage. J’ai argué du planning, portefaix d’engagements divers, pour décliner l’offre. La réalité complémentaire tient à une incompatibilité d’humeur avec BB. Sally, en contradiction avec l’harmonie phonique, m’incite à n’entrevoir que des rencontres isolées, sans BB, et donc forcément plus rares.
J’ai, en revanche, invité Karl à venir partager la transition annuelle avec la bande lyonnaise. C’est bien le seul de l’ex famille affinitaire avec qui je n’ai aucune gêne relationnelle. Sa grande qualité : n’avoir jamais cherché à imposer, par la pression psychologique et par le sous-entendu perfide, sa conception de ce qui doit faire l’entourage et la vie sentimentale de ceux qu’on prétend aimer. Déviance insupportable chez Heïm, Sally, etc.
Ce Journal ne peut prendre sa dimension que par les deux tendances extrêmes réunies en perspective : dix ans d’engagement forcené et laudatif, et cette nouvelle ère du regard critique, lui aussi, sans doute parfois, outrancier. Cela s’érige pourtant comme une nécessité pour contrebalancer l’époque première, et comme un instinct stylistique propre au diariste pamphlétaire. Pourquoi épargnerais-je ceux que j’ai côtoyés aussi pour le pire alors que je n’ai jamais éludé l’autocritique féroce ? Impératif purgatif en quelque sorte.


Samedi 21 décembre
Progressivement, je tape dans Word ce qui constituera peut-être un jour A mon aune, le deuxième tome de mon Journal pamphlétaire. Mars 2001, auquel je suis rendu, marque le tournant dans mon sentiment émergé sur ceux que je baptise désormais les « gens du Nord », mon ex famille affinitaire. Le fait déclencheur, le non-respect de l’engagement éditorial à publier Un Gâchis exemplaire relève, avec la distance, du prétexte en forme de détonateur. Le regard critique couvait en fait depuis la fausse promesse de fiançailles faite par Heïm à ma Sandre d'alors. J’ai pris là de plein fouet le jeu manipulatoire qui m’a renvoyé à de bien plus anciens événements.
Ce n’est pas la publication prochaine du Gâchis, en forme de clôture d’une tranche essentielle de mon existence, qui va me faire changer d’un iota ma récente perspective à décrier l’encensé d’hier.

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