vendredi 1 janvier 2016

2001

Dimanche 13 mai
De retour de Paris. La réconciliation avec mon père a eu lieu. Voyage à Tours via le château du Plessis à Limeray, où je suis né. De fortes émotions ont émergé en lui : il retrouve là les années de son adolescence et de ses engagements auprès de Heïm. Le dialogue, notamment place Plumereau, a complété l’affaire du Gâchis et de sa non publication par les gens du Nord. Heïm l’a appelé spécifiquement, il y a quelques semaines, pour lui annoncer qu’il ne publierait « jamais » mon Journal, car « je n’avais rien compris ». Voilà un virement de position réalisé dans mon dos, et avec une justification pour le moins elliptique. Qu’y avait-il donc à comprendre de plus que ce témoignage dans le vif d’un engagement ? Cette volte-face, en contradiction avec le discours qu’il m’a tenu affectivement, me révélerait-elle une manipulation de bout en bout ? Je me suis engagé de tout mon cœur, et avec loyauté, et c’est moi qui n’aurais rien compris ? Ce Journal s’achèvera avec ma mort, qu’il soit ou non publié, et c’est sa perspective globale qui vaudra sur les gens croisés avec plus ou moins d’application. Ainsi, toujours d’après les termes rapportés par mon père, Heïm estime que les quelques critiques émises sur mon père relèvent à nouveau d’une crétinisation (le mot est de mon choix) inconsciente de ma part. Je n’oublie pourtant pas les centaines, voire milliers d’heures, depuis quinze ans, où Heïm a piétiné allègrement l’image de mes parents. Là encore, ne fallait-il y voir que du conditionnement stratégique ? Ce sacro-saint intérêt de la famille, on voit ce qu’il en reste aujourd’hui, vaut-il ces sacrifices ? Le Sacrifice exemplaire aurait-il été un meilleur titre pour mon premier tome ? ! Je tiens à réaffirmer ma capacité à faire des choix : cet exil lyonnais en est un tout autant que le fut ma prise de gérance. Je n’ai donc pas à minorer ma responsabilité, à la différence essentielle que d’autres, les Leborgne, Rentrop et Alice notamment, se sont carapatés comme des lachtouilles inconséquentes. Moi je me suis battu et, finalement, j’ai évité le pire à la mesnie moribonde.

Dimanche 24 juin, 2h du mat.
Le culte du désert affectif s’intensifie. Passons sur les gens du Nord qui n’évoquent plus qu’un souvenir détaché. Face à la trahison, je n’ai plus aucune motivation pour me manifester. Je vise là, bien sûr, le noyau dur restant d’Au, mais mon retrait, mes silences se sont étendus.


Vendredi 3 août
Si l’invitation pour Royan a été confirmée par Sally, je n’ai aucune envie de rendre visite aux gens du Nord. Le discours tenu par Heïm m’apparaît de plus en plus comme une trahison affective et intellectuelle. Après les promesses et mon investissement en temps qui en a résulté, je ne digère pas les rodomontades pseudo-stratégiques d’un revirement absolu quant aux engagements éditoriaux pris.


Samedi 4 août, 6h30
Il est temps que j’intensifie ma purge existentielle en forme de psychothérapie littéraire. Le sale rêve de cette nuit confirme le besoin.
J’ai adhéré passionnément à la vie de Heïm dans ses choix fondamentaux. A 21 ans, j’ai accepté des responsabilités qui me dépassaient dans l’implication engendrée, même si j’en avais revêtu toute la panoplie juridique. Je n’ai évidemment pas maîtrisé ce qui, en titre, devenait mon affaire. Heïm restait d’une influence déterminante sur le plan éditorial, sur les grandes orientations, et pratiquait l’art de l’horizon idéal vers lequel, dans le charbon, nous (Alice et moi devant) devions tendre ; cela lui permettait de dénoncer par avance les travers dans lesquels ne pas sombrer et d’apparaître naturellement comme le sage ayant eu raison.
Si j’avais eu la poigne, la légitimité et l’autorité nécessaires sur tous les cadres plus âgés que moi dans cette entreprise (notamment des services littéraire et commercial) j’aurais, au premier signe négatif (et j’en ai eu de nombreux perçus comme tels en conscience, mais qui n’ont pas entraîné de réelles mesures), imposé un ralentissement de l’activité, avec une réflexion très poussée sur la viabilité d’une telle activité rendue de facto quasiment industrielle. Mais voilà : je n’avais pas le pouvoir de prendre cette décision car, derrière, tout un système de vie en dépendait. Le train lancé devait continuer son accélération, même si cette endurance reposait de plus en plus sur des artifices bancaires (découverts et lignes d’escompte). Là est le nœud du problème, au-delà des incompétences évidentes de chacun.
Très vite, voire dès le départ, mon rôle de gérant n’a pas consisté à diriger une activité, lancée pour des impératifs étrangers à la bonne santé de l’entreprise, mais à maintenir sur les rails coûte que coûte une carlingue branlante à l’effondrement inéluctable. Une saine gestion des affaires exigeait des coupes franches dans le personnel et le remplacement de nombre d’éléments de l’encadrement.


Dimanche 5 août, 0h30
Epoque 93-95 : gestionnaire des ruines fumantes.
Impliqué à la façon d’un combattant palestinien du jihad, j’ai endossé diverses responsabilités juridiques qui ne m’incombaient pas, ceci bien évidemment avec la bénédiction de Heïm puisque cela servait l’intérêt du château. Je ne regrette pas mon choix, signe d’une authenticité dans mes engagements d’alors, mais éprouve une nausée lorsque j’entends rapporter la position de Vanessa qui voit dans mon Gâchis un texte de trahison, alors qu’il témoigne de mon parti-pris pour le château. Ma mise au fronton des ruines s’est d’ailleurs concrétisée, entre autres décisions, par la prise de présidence du GIE Logires, alors dirigée par la femme de Heïm précitée, avec la découverte d’un bazar absolu sur le plan comptable (un carton-dépotoir pour l’ensemble des papiers). La mise en perspective donne un contraste ahurissant.

23h05. Mon détachement lyonnais répond à une lassitude de la vie d’Au rythmée par les beuveries pseudo-cathartiques de Heïm au ressassement nauséeux des mêmes rengaines éculées, aux saveurs perdues. Je croyais qu’une affection à distance restait possible, elle se niche dans le fin fond, mais sans désir de suivi, de contacts, même sporadiques. Aucun regret du vécu, mais le sentiment que tout ce qui viendrait serait forcé, sans intérêt nourrissant. Je préfère ma condition de reclus, à un partage du rabâchage quotidien.


Mardi 7 août, 22h45
Eu ce soir Karl au téléphone. Je le retrouverai à Royan en milieu de semaine prochaine. Il m’annonce « que je suis tonton » : Hubert vient d’avoir, avec sa compagne, une petite fille née le 3 ou 4 août. Voilà qui me ravit pour lui, mais qui n’évoque aucun sentiment de filiation pour moi. Depuis des années, je ne partage plus rien avec Hubert ; nos relations se sont le plus souvent résumées aux désaccords juridiques sur tel ou tel dossier. Je trouverais hypocrite de laisser croire autre chose. Je ne suis même pas sûr de le revoir un jour...

Plus allusif, Karl s’enquiert de savoir si je compte me manifester pour l’anniversaire de Heïm car je n’ai rien envoyé pour la fête des pères. Là encore, des changements. Je n’avais aucune envie de me manifester suite à la volte-face éditoriale. Je doute que Heïm perçoive bien la carte que je lui enverrai pour le 12 août. Karl m’interrogeait-il de lui-même, ou sur recommandation ? Le fait qu’il fasse référence à mon silence suppose que des conversations ont eu lieu à ce sujet. Aucune envie de rentrer dans ces débats. Je serai maintenant une carpe sur certains domaines. Seules ces pages témoigneront de ma vision critique.


Samedi 11 août, à Royan
La distance prise avec les gens du Nord ne doit pas entacher mon lien avec Sally, ni avec d’autres individualités. C’est ce que ce séjour confirmera, je l’espère.
Ma communication littéraire se réduit à peu de choses impubliables, alors pourquoi forcer ? Se sentir vide de tout, sans ambition, sans penchant à construire, à capitaliser, absorber les instants comme autant d’ajouts superfétatoires plus ou moins jouissifs : ma condition humaine se rabougrit en involution. Le coche loupé, reste les rogatons meublant une suite d’existence ternie. Un petit effort pour y croire encore tout de même. Elen m’y aidera peut-être... Jamais je ne révélerai son existence à quelqu’un du château, ou en lien habituel avec.
Marre de ces fourches chirurgicales qui détaillent la moindre parcelle de la personne choisie. Je ne veux plus d’ingérence, jamais ! Cela m’a trop coûté pour de prétendus bonheurs que l’on me souhaitait. Foutaise ! Pour une mainmise sur ma vie privée, plutôt ! Finish les sérénades cathartiques. J’assumerai seul mes choix, sans influence d’aucune sorte.


Samedi 3 novembre
Reçu ce jour un e-mail minimal signé « Monique M. » me demandant si je savais où se trouve le dossier d’achat du terrain par la SCI d’Au. Voilà une distance prise qui me ravit. Je n’ai plus rien à voir avec le noyau dur du château (Heïm, Vanessa et la susnommée), comme je n’ai jamais eu d’affinité pour le magistrat Hubert. Je ressens moi là une trahison extrême dans les engagements pris par Heïm et non tenus. Evidemment, ses compagnes (l’officielle et l’officieuse) le soutiennent et doivent aujourd’hui me maudire, me trouver tous les défauts possibles, me vouer aux gémonies... J’en ai tellement entendu sur tous ceux et toutes celles qui sont partis avant moi que les refrains monomaniaques du château ne peuvent plus m’atteindre. J’ai abandonné, avec un soulagement gargantuesque, cet univers castrateur et laminant. De l’affection ? Il doit m’en rester quelques soupçons, mais je ne les cultive pas.

Jeudi 8 novembre, 0h et des poussières
Je me rendrai le 23 décembre prochain, pour un déjeuner, au château après un an et demi, au moins, d’absence. Décision prise après un appel de Sally me faisant savoir qu’à cette occasion de réunion familiale Heïm aurait apprécié ma présence. Par affection, je ne pouvais refuser, mais je n’oublie rien des éléments qui m’ont fait adopter ce mouvement de retrait. Il y a quelques jours, e-mail reçu pour une demande de renseignement signé « Monique M. », et non simplement Monique (ou Mo selon le surnom habituel), comme pour désaffectiver tout rapport. Risible pour le moins. Si je fais le voyage pour ce repas, je n’accepterais, de Heïm ou d’autres, aucune tentative de glisser vers les puants repas-catharsis. En cas contraire, ce sera mon dernier séjour au château. Je ne peux plus tolérer ce prétendu esprit libre, plein d’humour, sans tabou, alors que tout respire l’inverse. Affection, oui, mais plus d’incrédulité de mon côté.

Samedi 1er décembre, 9h30
Cela doit forcément me travailler le bulbe. Mes contrées oniriques, ces derniers jours, se peuplent à chaque fois des gens du Nord y compris, pour cette nuit, d’Alice avec, pour décor, le château d’O. Rêves dont je n’ai accroché que quelques bribes, mais qui témoignent de mon appréhension de ce 23 décembre.

Hier soir, en compagnie de ma chère amie Katia, après projection du sympathique, mais pas transcendant de rire, Tanguy de Chatillez, tête-à-tête culinaire à la pizza Pino de Bellecour. Occasion d’exposer ma complexe position vis-à-vis du château. Reconnaissance d’un enrichissement intérieur et d’une ouverture culturelle vers des domaines que je n’aurais pu de moi-même aborder. Reconnaissance de la féerie des grandes vacances passées dans les châteaux successifs de Heïm Reconnaissance d’une tranche d’enfance merveilleuse (entre 7 et 11 ans) au château d’O, assombrie avec la mise en perspective des sordides accords financiers sous-tendant notre séjour (normaux certes, mais donnant lieu à une surenchère déplacée de la part du château) et du subtil travail de sape de Heïm et de ses acolytes féminins sur nos parents.
En racontant à Katia l’anecdote du Noël (1980 je crois) où mes parents, après avoir fait la route (150km) et prévu un réveillon à cinq dans la maison de Combles, je crois, ont vu leurs trois enfants refuser de les suivre, car préférant le Noël du château, j’ai été ému et en colère contre le jeu manipulateur constant de Heïm. L’idée de nous faire tourner un petit film où l’on déclamait des « Bon Noël papa-maman » révèle, pour le moins, du cynisme sans état d’âme. Je ne disculpe pas pour autant mes parents qui, incapables de gérer familialement leur couple, ont engendré bien des chagrins, mais il n’y avait pas chez eux de stratégie sous-jacente de conditionnement en vue d’obtenir, des êtres, pensées et comportements accomplis, en apparence, de leur propre volonté. Un peu, puisque la comparaison éclaire, paraît-il, les raisonnements embrouillés, à la manière, en moins systématique et avec beaucoup plus de subtilité et donc de fragilité, de l’hypnopédie du Meilleur des mondes. L’humour à répétition et le recours systématique aux mêmes schémas intellectuels valent bien l’enseignement par le sommeil.
La reconnaissance s’arrête là ! Pour la suite, le principe de l’apport réciproque à joué et j’estime avoir largement donné de ma personne, de mon temps et de mes connaissances (notamment juridiques) en contrepartie des conditions de vie proposées (assez peu épanouissantes). Primauté de l’intérêt général, pour lequel j’ai adopté un engagement jusqu’au boutiste via la perdition intérieure, dont les chemins conduisent tous vers Heïm. Majeur et vacciné, je n’ai à m’en prendre qu’à moi, mais je ne dois pas sacrifier ma lucidité pour autant.
Evidemment, hors de question que je fasse allusion à cet état d’âme lors du passage éclair. La catharsis façon Heïm me pue au nez et fait partie d’un univers fui par cet exil lyonnais. En outre, Heïm pratiquant, sans doute depuis des décennies, le discours à facettes avec mise en exergue changeante selon l’interlocuteur, j’en ai eu la démonstration avec l’affaire du Gâchis, je ne vais pas me priver de le dispenser de toute la subtilité nouvelle de mon positionnement (qu’il a peut-être deviné tout seul). Que l’affectif subsiste avec rencontres épisodiques, pourquoi pas, mais que cela ne voile pas les motivations profondes, que j’essaie par bribes de transmettre ici, de ma séparation de cet univers aujourd’hui réduit à sa portion congrue.


Jeudi 13 décembre
Finalement, pas de 23 décembre chez les gens du Nord : Heïm est hospitalisé, pour des risques de perte de vue, et le cœur n’y est plus. Au fond, même si la raison est regrettable (je lui ai envoyé un e-mail d’affection), je ne suis pas mécontent d’annuler ce déplacement pour une réunion qui n’aurait rimé à rien.


Lundi 17 décembre, 23h10
Passage fructueux chez mon père. Mon évolution critique à l’égard des méthodes de Heïm l’a convaincu de me révéler sa stratégie tenue depuis près de quinze ans : entretenir l’impression d’un regard nostalgique et bienveillant sur Heïm. L’objectif était double : ne pas me mettre dans une situation psychologique difficile, à l’égard de Heïm, en transmettant durant des années son positionnement positif, voire affectif, sur l’univers de Heïm et ses choix existentiels.
Bien joué, car Heïm est allé jusqu’à reprendre contact avec mon père. En fait, l’utilisation des mêmes armes manipulatrices que celles exploitées depuis si longtemps par Heïm m’a permis de le voir sous un jour plus contrasté. La plongée dans le passé révèle quelques actions pseudo-pédagogiques de Heïm aux relents aberrants qui ne visaient que son propre intérêt par l’emprise subtile sur les êtres.

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