samedi 2 janvier 2016

AVERTISSEMENT

Ce témoignage brut a pour premier objectif de révéler une réalité occultée sur cet individu étiqueté anarchiste de droite ou aristocrate libertaire. Les prénoms et les noms des autres personnes impliquées, notamment celles ayant fait partie de son entourage, ont donc été modifiés.


Dernière rencontre de Micberth, en mai 2006

vendredi 1 janvier 2016

2000

Jeudi 21 décembre, 1h30 du matin
Premières fêtes de fin d’année, depuis bien longtemps (et premières de ma propre initiative), où je ne mettrai pas les pieds au château. Un signe ? Sans aucun doute de la distance prise de part et d’autre. J’ai récupéré les stocks MVVF chez l’ELAH, et dès la semaine prochaine je renvoie le tout (avec les exemplaires chez moi) dans le nord. L’autonomie mentale dans l’exil sera alors vraiment accompli. Le vivotage qui s’en suivra me reviendra totalement. Toutefois, et curieusement, je ne me sens pas encore prêt pour faire la part des choses dans ce détachement accentué : un rejet d’une forme de vie incompatible avec mon goût pour un retrait de tout, une espèce de désengagement moral.

Si le premier tome de ce Journal n’est en fait pas publié, contrairement à la promesse de Heïm, ce sera sans doute pour moi l’amorce d’un changement de cap littéraire : plus de zone préservée de toute critique. Quitte à rejoindre la clandestinité absolue, autant qu’elle me permette un abordage tous azimuts sans concession, sans faux-semblant illusoire. Je n’aurais alors plus aucun intérêt général à défendre. Même ma sécurité, je m’en contrefoutrais. Voilà au seuil de quoi je suis...

2001

Dimanche 13 mai
De retour de Paris. La réconciliation avec mon père a eu lieu. Voyage à Tours via le château du Plessis à Limeray, où je suis né. De fortes émotions ont émergé en lui : il retrouve là les années de son adolescence et de ses engagements auprès de Heïm. Le dialogue, notamment place Plumereau, a complété l’affaire du Gâchis et de sa non publication par les gens du Nord. Heïm l’a appelé spécifiquement, il y a quelques semaines, pour lui annoncer qu’il ne publierait « jamais » mon Journal, car « je n’avais rien compris ». Voilà un virement de position réalisé dans mon dos, et avec une justification pour le moins elliptique. Qu’y avait-il donc à comprendre de plus que ce témoignage dans le vif d’un engagement ? Cette volte-face, en contradiction avec le discours qu’il m’a tenu affectivement, me révélerait-elle une manipulation de bout en bout ? Je me suis engagé de tout mon cœur, et avec loyauté, et c’est moi qui n’aurais rien compris ? Ce Journal s’achèvera avec ma mort, qu’il soit ou non publié, et c’est sa perspective globale qui vaudra sur les gens croisés avec plus ou moins d’application. Ainsi, toujours d’après les termes rapportés par mon père, Heïm estime que les quelques critiques émises sur mon père relèvent à nouveau d’une crétinisation (le mot est de mon choix) inconsciente de ma part. Je n’oublie pourtant pas les centaines, voire milliers d’heures, depuis quinze ans, où Heïm a piétiné allègrement l’image de mes parents. Là encore, ne fallait-il y voir que du conditionnement stratégique ? Ce sacro-saint intérêt de la famille, on voit ce qu’il en reste aujourd’hui, vaut-il ces sacrifices ? Le Sacrifice exemplaire aurait-il été un meilleur titre pour mon premier tome ? ! Je tiens à réaffirmer ma capacité à faire des choix : cet exil lyonnais en est un tout autant que le fut ma prise de gérance. Je n’ai donc pas à minorer ma responsabilité, à la différence essentielle que d’autres, les Leborgne, Rentrop et Alice notamment, se sont carapatés comme des lachtouilles inconséquentes. Moi je me suis battu et, finalement, j’ai évité le pire à la mesnie moribonde.

Dimanche 24 juin, 2h du mat.
Le culte du désert affectif s’intensifie. Passons sur les gens du Nord qui n’évoquent plus qu’un souvenir détaché. Face à la trahison, je n’ai plus aucune motivation pour me manifester. Je vise là, bien sûr, le noyau dur restant d’Au, mais mon retrait, mes silences se sont étendus.


Vendredi 3 août
Si l’invitation pour Royan a été confirmée par Sally, je n’ai aucune envie de rendre visite aux gens du Nord. Le discours tenu par Heïm m’apparaît de plus en plus comme une trahison affective et intellectuelle. Après les promesses et mon investissement en temps qui en a résulté, je ne digère pas les rodomontades pseudo-stratégiques d’un revirement absolu quant aux engagements éditoriaux pris.


Samedi 4 août, 6h30
Il est temps que j’intensifie ma purge existentielle en forme de psychothérapie littéraire. Le sale rêve de cette nuit confirme le besoin.
J’ai adhéré passionnément à la vie de Heïm dans ses choix fondamentaux. A 21 ans, j’ai accepté des responsabilités qui me dépassaient dans l’implication engendrée, même si j’en avais revêtu toute la panoplie juridique. Je n’ai évidemment pas maîtrisé ce qui, en titre, devenait mon affaire. Heïm restait d’une influence déterminante sur le plan éditorial, sur les grandes orientations, et pratiquait l’art de l’horizon idéal vers lequel, dans le charbon, nous (Alice et moi devant) devions tendre ; cela lui permettait de dénoncer par avance les travers dans lesquels ne pas sombrer et d’apparaître naturellement comme le sage ayant eu raison.
Si j’avais eu la poigne, la légitimité et l’autorité nécessaires sur tous les cadres plus âgés que moi dans cette entreprise (notamment des services littéraire et commercial) j’aurais, au premier signe négatif (et j’en ai eu de nombreux perçus comme tels en conscience, mais qui n’ont pas entraîné de réelles mesures), imposé un ralentissement de l’activité, avec une réflexion très poussée sur la viabilité d’une telle activité rendue de facto quasiment industrielle. Mais voilà : je n’avais pas le pouvoir de prendre cette décision car, derrière, tout un système de vie en dépendait. Le train lancé devait continuer son accélération, même si cette endurance reposait de plus en plus sur des artifices bancaires (découverts et lignes d’escompte). Là est le nœud du problème, au-delà des incompétences évidentes de chacun.
Très vite, voire dès le départ, mon rôle de gérant n’a pas consisté à diriger une activité, lancée pour des impératifs étrangers à la bonne santé de l’entreprise, mais à maintenir sur les rails coûte que coûte une carlingue branlante à l’effondrement inéluctable. Une saine gestion des affaires exigeait des coupes franches dans le personnel et le remplacement de nombre d’éléments de l’encadrement.


Dimanche 5 août, 0h30
Epoque 93-95 : gestionnaire des ruines fumantes.
Impliqué à la façon d’un combattant palestinien du jihad, j’ai endossé diverses responsabilités juridiques qui ne m’incombaient pas, ceci bien évidemment avec la bénédiction de Heïm puisque cela servait l’intérêt du château. Je ne regrette pas mon choix, signe d’une authenticité dans mes engagements d’alors, mais éprouve une nausée lorsque j’entends rapporter la position de Vanessa qui voit dans mon Gâchis un texte de trahison, alors qu’il témoigne de mon parti-pris pour le château. Ma mise au fronton des ruines s’est d’ailleurs concrétisée, entre autres décisions, par la prise de présidence du GIE Logires, alors dirigée par la femme de Heïm précitée, avec la découverte d’un bazar absolu sur le plan comptable (un carton-dépotoir pour l’ensemble des papiers). La mise en perspective donne un contraste ahurissant.

23h05. Mon détachement lyonnais répond à une lassitude de la vie d’Au rythmée par les beuveries pseudo-cathartiques de Heïm au ressassement nauséeux des mêmes rengaines éculées, aux saveurs perdues. Je croyais qu’une affection à distance restait possible, elle se niche dans le fin fond, mais sans désir de suivi, de contacts, même sporadiques. Aucun regret du vécu, mais le sentiment que tout ce qui viendrait serait forcé, sans intérêt nourrissant. Je préfère ma condition de reclus, à un partage du rabâchage quotidien.


Mardi 7 août, 22h45
Eu ce soir Karl au téléphone. Je le retrouverai à Royan en milieu de semaine prochaine. Il m’annonce « que je suis tonton » : Hubert vient d’avoir, avec sa compagne, une petite fille née le 3 ou 4 août. Voilà qui me ravit pour lui, mais qui n’évoque aucun sentiment de filiation pour moi. Depuis des années, je ne partage plus rien avec Hubert ; nos relations se sont le plus souvent résumées aux désaccords juridiques sur tel ou tel dossier. Je trouverais hypocrite de laisser croire autre chose. Je ne suis même pas sûr de le revoir un jour...

Plus allusif, Karl s’enquiert de savoir si je compte me manifester pour l’anniversaire de Heïm car je n’ai rien envoyé pour la fête des pères. Là encore, des changements. Je n’avais aucune envie de me manifester suite à la volte-face éditoriale. Je doute que Heïm perçoive bien la carte que je lui enverrai pour le 12 août. Karl m’interrogeait-il de lui-même, ou sur recommandation ? Le fait qu’il fasse référence à mon silence suppose que des conversations ont eu lieu à ce sujet. Aucune envie de rentrer dans ces débats. Je serai maintenant une carpe sur certains domaines. Seules ces pages témoigneront de ma vision critique.


Samedi 11 août, à Royan
La distance prise avec les gens du Nord ne doit pas entacher mon lien avec Sally, ni avec d’autres individualités. C’est ce que ce séjour confirmera, je l’espère.
Ma communication littéraire se réduit à peu de choses impubliables, alors pourquoi forcer ? Se sentir vide de tout, sans ambition, sans penchant à construire, à capitaliser, absorber les instants comme autant d’ajouts superfétatoires plus ou moins jouissifs : ma condition humaine se rabougrit en involution. Le coche loupé, reste les rogatons meublant une suite d’existence ternie. Un petit effort pour y croire encore tout de même. Elen m’y aidera peut-être... Jamais je ne révélerai son existence à quelqu’un du château, ou en lien habituel avec.
Marre de ces fourches chirurgicales qui détaillent la moindre parcelle de la personne choisie. Je ne veux plus d’ingérence, jamais ! Cela m’a trop coûté pour de prétendus bonheurs que l’on me souhaitait. Foutaise ! Pour une mainmise sur ma vie privée, plutôt ! Finish les sérénades cathartiques. J’assumerai seul mes choix, sans influence d’aucune sorte.


Samedi 3 novembre
Reçu ce jour un e-mail minimal signé « Monique M. » me demandant si je savais où se trouve le dossier d’achat du terrain par la SCI d’Au. Voilà une distance prise qui me ravit. Je n’ai plus rien à voir avec le noyau dur du château (Heïm, Vanessa et la susnommée), comme je n’ai jamais eu d’affinité pour le magistrat Hubert. Je ressens moi là une trahison extrême dans les engagements pris par Heïm et non tenus. Evidemment, ses compagnes (l’officielle et l’officieuse) le soutiennent et doivent aujourd’hui me maudire, me trouver tous les défauts possibles, me vouer aux gémonies... J’en ai tellement entendu sur tous ceux et toutes celles qui sont partis avant moi que les refrains monomaniaques du château ne peuvent plus m’atteindre. J’ai abandonné, avec un soulagement gargantuesque, cet univers castrateur et laminant. De l’affection ? Il doit m’en rester quelques soupçons, mais je ne les cultive pas.

Jeudi 8 novembre, 0h et des poussières
Je me rendrai le 23 décembre prochain, pour un déjeuner, au château après un an et demi, au moins, d’absence. Décision prise après un appel de Sally me faisant savoir qu’à cette occasion de réunion familiale Heïm aurait apprécié ma présence. Par affection, je ne pouvais refuser, mais je n’oublie rien des éléments qui m’ont fait adopter ce mouvement de retrait. Il y a quelques jours, e-mail reçu pour une demande de renseignement signé « Monique M. », et non simplement Monique (ou Mo selon le surnom habituel), comme pour désaffectiver tout rapport. Risible pour le moins. Si je fais le voyage pour ce repas, je n’accepterais, de Heïm ou d’autres, aucune tentative de glisser vers les puants repas-catharsis. En cas contraire, ce sera mon dernier séjour au château. Je ne peux plus tolérer ce prétendu esprit libre, plein d’humour, sans tabou, alors que tout respire l’inverse. Affection, oui, mais plus d’incrédulité de mon côté.

Samedi 1er décembre, 9h30
Cela doit forcément me travailler le bulbe. Mes contrées oniriques, ces derniers jours, se peuplent à chaque fois des gens du Nord y compris, pour cette nuit, d’Alice avec, pour décor, le château d’O. Rêves dont je n’ai accroché que quelques bribes, mais qui témoignent de mon appréhension de ce 23 décembre.

Hier soir, en compagnie de ma chère amie Katia, après projection du sympathique, mais pas transcendant de rire, Tanguy de Chatillez, tête-à-tête culinaire à la pizza Pino de Bellecour. Occasion d’exposer ma complexe position vis-à-vis du château. Reconnaissance d’un enrichissement intérieur et d’une ouverture culturelle vers des domaines que je n’aurais pu de moi-même aborder. Reconnaissance de la féerie des grandes vacances passées dans les châteaux successifs de Heïm Reconnaissance d’une tranche d’enfance merveilleuse (entre 7 et 11 ans) au château d’O, assombrie avec la mise en perspective des sordides accords financiers sous-tendant notre séjour (normaux certes, mais donnant lieu à une surenchère déplacée de la part du château) et du subtil travail de sape de Heïm et de ses acolytes féminins sur nos parents.
En racontant à Katia l’anecdote du Noël (1980 je crois) où mes parents, après avoir fait la route (150km) et prévu un réveillon à cinq dans la maison de Combles, je crois, ont vu leurs trois enfants refuser de les suivre, car préférant le Noël du château, j’ai été ému et en colère contre le jeu manipulateur constant de Heïm. L’idée de nous faire tourner un petit film où l’on déclamait des « Bon Noël papa-maman » révèle, pour le moins, du cynisme sans état d’âme. Je ne disculpe pas pour autant mes parents qui, incapables de gérer familialement leur couple, ont engendré bien des chagrins, mais il n’y avait pas chez eux de stratégie sous-jacente de conditionnement en vue d’obtenir, des êtres, pensées et comportements accomplis, en apparence, de leur propre volonté. Un peu, puisque la comparaison éclaire, paraît-il, les raisonnements embrouillés, à la manière, en moins systématique et avec beaucoup plus de subtilité et donc de fragilité, de l’hypnopédie du Meilleur des mondes. L’humour à répétition et le recours systématique aux mêmes schémas intellectuels valent bien l’enseignement par le sommeil.
La reconnaissance s’arrête là ! Pour la suite, le principe de l’apport réciproque à joué et j’estime avoir largement donné de ma personne, de mon temps et de mes connaissances (notamment juridiques) en contrepartie des conditions de vie proposées (assez peu épanouissantes). Primauté de l’intérêt général, pour lequel j’ai adopté un engagement jusqu’au boutiste via la perdition intérieure, dont les chemins conduisent tous vers Heïm. Majeur et vacciné, je n’ai à m’en prendre qu’à moi, mais je ne dois pas sacrifier ma lucidité pour autant.
Evidemment, hors de question que je fasse allusion à cet état d’âme lors du passage éclair. La catharsis façon Heïm me pue au nez et fait partie d’un univers fui par cet exil lyonnais. En outre, Heïm pratiquant, sans doute depuis des décennies, le discours à facettes avec mise en exergue changeante selon l’interlocuteur, j’en ai eu la démonstration avec l’affaire du Gâchis, je ne vais pas me priver de le dispenser de toute la subtilité nouvelle de mon positionnement (qu’il a peut-être deviné tout seul). Que l’affectif subsiste avec rencontres épisodiques, pourquoi pas, mais que cela ne voile pas les motivations profondes, que j’essaie par bribes de transmettre ici, de ma séparation de cet univers aujourd’hui réduit à sa portion congrue.


Jeudi 13 décembre
Finalement, pas de 23 décembre chez les gens du Nord : Heïm est hospitalisé, pour des risques de perte de vue, et le cœur n’y est plus. Au fond, même si la raison est regrettable (je lui ai envoyé un e-mail d’affection), je ne suis pas mécontent d’annuler ce déplacement pour une réunion qui n’aurait rimé à rien.


Lundi 17 décembre, 23h10
Passage fructueux chez mon père. Mon évolution critique à l’égard des méthodes de Heïm l’a convaincu de me révéler sa stratégie tenue depuis près de quinze ans : entretenir l’impression d’un regard nostalgique et bienveillant sur Heïm. L’objectif était double : ne pas me mettre dans une situation psychologique difficile, à l’égard de Heïm, en transmettant durant des années son positionnement positif, voire affectif, sur l’univers de Heïm et ses choix existentiels.
Bien joué, car Heïm est allé jusqu’à reprendre contact avec mon père. En fait, l’utilisation des mêmes armes manipulatrices que celles exploitées depuis si longtemps par Heïm m’a permis de le voir sous un jour plus contrasté. La plongée dans le passé révèle quelques actions pseudo-pédagogiques de Heïm aux relents aberrants qui ne visaient que son propre intérêt par l’emprise subtile sur les êtres.

2002


Mercredi 3 avril
Déjeuner ce midi avec Sally, de passage pour la journée à Lyon. Quelques nouvelles éparses des gens du Nord et de certains membres de sa famille.
A noter la dérive violente du procureur Hubert qui, pour une peccadille, a « massacré » (terme de Sally) sa compagne en présence de sa mère. Les séparations-retrouvailles de ce sordide yo-yo sentimental s’achèvent (ou se poursuivent ?) dans l’abjecte violence maritale. Sa fonction de substitut du procureur, avec le sentiment de puissance qu’elle confère, n’a fait que renforcer des tendances bien présentes chez lui. Je me rappelle, rue Vercingétorix, les restes du défoulement sur sa petite amie d’alors : des cheveux par poignées. Le dépôt de plainte pour coups et blessures l’avait frôlé. Cette fois-ci, les conséquences semblent plus drastiques : perte de la garde sur l’enfant et risque de mutation professionnelle. Sally m’explique que cette tare, chez Hubert, trouve sa source directe chez sa mère. J’ajouterais que les discours et les comportements de Heïm à l’égard des femmes n’ont certainement pas fourni le meilleur des exemples au fils magistrat.
Agréable rapport avec Sally (je suis à nouveau invité, avec BB, à Royan pour une semaine en août), mais elle tente à chaque fois de me sensibiliser à une certaine actualité du château. Ses craintes quant au comportement de Hubert concernant la prise de possession du château, contre Vanessa, après le décès de Heïm, m’apparaissent comme un appel indirect. Je n’ai, là encore, pas voulu être désagréable et la mettre dans une position impliquant un choix affectif, mais je n’en ai aujourd’hui que foutre des soucis autremencourtois. J’ai suffisamment donné de ma personne, je me suis grillé quasiment à vie pour la gestion d’une société, j’ai vécu l’enfer du kamikaze social pour défendre les gens du château, pour dorénavant me désintéresser de ces péripéties supposées à venir. Par ailleurs, je ne possède plus aucune part dans la SCI du château, je reste simplement caution solidaire pour le prêt ayant permis son achat, et ce jusqu’en 2007. Voilà mon seul lien, pas le plus enviable… Le ton de cette prose suffit à démontrer que je me sens étranger à ce monde ou, plus exactement, aux reliquats d’un monde perdu. Seules des individualités retiennent mon affection : Karl et Hermione, notamment.


Jeudi 4 avril
Mon existence convole avec de modestes objectifs, mais la sérénité fondamentale s’est ancrée. Pas une perte de lucidité, je crois y voir bien plus clair, au contraire, sans approche engoncée de la vie. Fini le cérémonial inutile, les pertes de temps pseudo-cathartiques, les monomanies humoristiques, la dérision sans réelle autocritique, toutes ces dérives qui n’ouvrent que sur le sacrifice pour un intérêt vaguement général, et en l’espèce pour répondre aux exigences du chef de la mesnie embryonnaire (suite aux dégraissages successifs). Trente ans auront été nécessaires pour que j’intègre la critique dans mon approche de cet univers à part. L’équivalent du maximum de la part incompressible pour une perpétuité en France… Rapprochement hasardeux sans doute…
Lorsque Sally m’a annoncé que la nouvelle petite amie de Karl avait été bien perçue par Vanessa et Heïm, je fulminais en silence. Quand vont-ils s’arrêter de passer au crible les choix sentimentaux de chacun ! Sous couvert du bonheur qu’ils nous souhaitent, ils s’arrogent le droit d’ingérence psychologique et moral dans nos inclinations et dans la gestion de notre parcours amoureux. Voilà l’une des raisons profondes de mon retrait du château et de mon exil lyonnais : indigestion de ces pressions quasi quotidiennes si le moule n’est pas parfait. Ce clonage mental me pue au nez. Ces poussées littéraires contre les gens du Nord n’ont que la vocation d’alléger un chouia le passé dans ses sombres facettes après tant d’années dédiées aux seules louanges (que je ne renie pas, mais qui se trouvent, avec la perspective des traces présentes, amoindries).
Laisser l’empreinte, même non publiée, d’un regard désengagé, sans l’ombre d’une amertume (puisque je me sens beaucoup mieux dans cet éloignement), sur quelques aspects moins reluisants de la vie chez Heïm, répond à la plus humaine des traditions intellectuelles : rompre avec la pensée unique, quelle que soit la superficie de son territoire (en l’espèce une micro société).


Jeudi 18 avril
Je n’ai toujours pas appelé Heïm, et je n’en ai nulle envie. Je me sens vraiment étranger à son univers aujourd’hui. Hier, message de sa femme pour me signaler que le jugement de liquidation de la SERU devait m’être signifié. Mauvais goût qui remonte, j’espère qu’il conclura enfin ces années d’épreuve où l’engagement a tissé sa toile d’angoisse jusqu’à l’effondrement éperdu.


Mardi 21 mai
Il y a quelques jours, rêve (cauchemar ?) que les gens du Nord reprenaient contact pour un nouvel enrôlement professionnel avec toutes les angoisses adjacentes. Aucune envie de les revoir. La mort de Heïm changera peut-être la donne, mais je crois ne plus rien avoir à leur apporter, et réciproquement.

Mardi 4 juin
Plus de contact avec les gens du Nord, et c’est un soulagement. Je n’éprouve pas l’once d’un regret, d’une quelconque nostalgie face à mon éloignement. Les apports réciproques ont été largement épuisés.


Lundi 10 juin, 23h50
En début de soirée, appel de Sally pour prendre quelques nouvelles, et surtout être le relais des attentes des gens du Nord. Cette fois, demande de l’épouse de Heïm que je sois présent pour la fête des pères. Elle m’apprend la suite des dérives du fils Hubert à l’égard de Heïm, qu’il ne veut plus laisser son enfant au château car son père « violerait » tous les petiots de passage. Violer n’est pas adéquat, car le viol suppose l’absence de consentement…
J’ai évidemment décliné l’invitation pour cette mascarade très faiblement festive, prétextant des engagements pris par ailleurs (semaine et week-end programmés à Paris et à Londres). Même sans cela je n’y serais pas allé. Je trouve incongru de me retrouver parmi ces gens, que j’ai certes adorés, mais dont je ne partage plus du tout les perspectives existentielles. L’hypocrisie, ou le coup d’éclat, s’immiscerait nécessairement. Pas de temps à perdre avec ces ambiances trop longtemps supportées. Plus mon monde, définitivement !
Je ne leur veux aucun mal,  mais nos chemins se sont séparés et le rapport filial n’est plus.


Jeudi 27 juin
Aller au château d’Au, le premier week-end d’août, me partage : attirance affective, mais appréhension de retrouver les mêmes tics existentiels, les mêmes monomanies intellectuelles… Je ne souhaite évidemment pas exposer dans tous les détails mon ressenti par rapport à la vie passée partagée. Cela ne servirait qu’à rendre Heïm un peu plus malheureux, ce que je ne cherche pas. S’en tenir à cette parenthèse affective avec ce qu’elle peut apporter de bon : voilà le seul objectif qui, j’espère, est réciproque. En cas contraire, cela constituerait ma dernière visite.


Samedi 3 août
Une première partie du séjour tout en affection arrosée. Pas de volonté polémique et une surprise : nouvelle proposition de Heïm d’éditer mon Journal ! Il fait allusion à la promesse faite à mon père de ne jamais l’éditer pour mieux l’évacuer.
Très chaleureux de le retrouver, mais il a ressenti un léger malaise chez moi, depuis ce matin, et le fait est : je ne me sens pas vraiment dans mon élément, même si tout l’apparat affectif est déployé.
Dans les échanges avec Heïm, évocation de l’actualité de personnes plus ou moins familières : les "folies" du magistrat Hubert, la réussite du neveu Henri Lourdot (à la tête d’un des plus gros cabinets d’huissiers de Normandie), la vie de déclin d'Aude, les deux enfants (vus en photo) d’Alice, etc.
De mon côté, quelques révélations : notamment mon histoire charnelle très brève avec S et le projet d’un enfant avec BB à moyen terme. Sur ce dernier point, j’aurais peut-être mieux fait de m’abstenir. Je sens poindre la pression (gentiment abordée) de visite avec cette future progéniture…
En somme, une visite en forme de réconciliation, mais qui ne m’incline pas à intensifier le suivi. Une visite annuelle conviendra.
Quant au Journal, et son volume I (91-99) Un gâchis exemplaire, je prends cette nouvelle proposition avec beaucoup de circonspection. Pas d’emballement prématuré, mais si le livre peut effectivement exister, je ne vais pas me priver de ce plaisir.
Problème pour le volume II (2000- ?) que j’intitulerais probablement A mon aune, et dans lequel les critiques fusent envers Heïm et son entourage. Il faudrait être un imbécile inconscient pour proposer une version complète de ces années. Je vais donc envoyer à Heïm quelques passages ne comprenant pas les défoulements contre ma vie passée et, en cas de proposition éditoriale, je tronquerai ce volume des extraits les plus pamphlétaires sur le château pour les réserver à un Journal critique posthume. Puisque la stratégie a gouverné l’essentiel des actions de Heïm à l’égard des êtres, je ne vais pas me priver de l’être un peu à son égard. L’affection demeure totale, mais je n’ai plus cet enclin à œillères des années 90 où seule la cause du château comptait. Je ne veux de mal à personne, mais je ne bride plus mes réflexions dans le secret de ces pages.
Demain, allure pseudo familiale prononcée avec l’arrivée de Sally, Hermione et Angel.


Dimanche 4 août
20h. Comme prévu, la fin de la deuxième partie de séjour a dérivé vers la pseudo-catharsis. Un repas tout en affection, en bons mots, en ambiance chaleureuse et puis, progressivement, quelques éléments conflictuels ont émergé : ma nouvelle conception de l’existence, mon malaise dans ce cadre, la mise en relation de ma compagne (et d’un éventuel enfant) avec le château… Tous ces points d’achoppement qui ne me concernent plus. Je reste en lien affectif, mais je me sens de plus en plus étranger à ces volontés de réunir l’inconciliable.
Selon Hermione, je n’aimerais pas le beau de l’existence dans son optique constructive… Eh bien tant pis ! Qu’on me laisse à l’aune de ce qui me préoccupe. Cette adhésion systématique à des schémas de pensée dans lesquels je ne me reconnais plus restera une source de ruptures renouvelées. Qu’ils me prennent tel que je suis, condition essentielle pour la poursuite d’un rapport.
Vrai que ma conception de l’existence ne peut être approuvée par le couple Hermione-Angel. Doit-on pour autant se priver de se voir ? Peut-être n’a-t-on plus rien d’important à partager. Je sentais dans la voix de Hermione, déclarant beaucoup m’aimer, que rien de commun ne permettrait d’initier des rencontres. Le changement est bien, chez moi, irrémédiable, et sans l’once d’un désespoir. Mon épanouissement réside dans ma vie lyonnaise. Et ma BB me manque, son amour, ses baisers, son corps chaud, ses attentions constantes. La présenterais-je un jour ? Aucune envie de la mêler à cette théâtrologie existentielle qui finalement, même si l’intelligence est extrême, en revient toujours à des monomanies intellectuelles.
Pour finir, je n’ai pas vraiment envie que ce Journal paraisse. Que cela reste comme une expérience littéraire où je ne m’interdise rien dans la critique, condition d’une création équilibrante, mais rien du faiseur pour la pitoyable gloriole de l’ouvrage sorti. Je verrai si Heïm me relance, mais je n’aurai aucune démarche en ce sens. Tout cela ne m’intéresse plus.

Dimanche 18 août
Au Cellier depuis hier midi, bilan contrasté du séjour à Royan : agréable pour moi, source de malaises et de chagrin pour ma BB. Comme je l’avais appréhendé, le courant n’est pas passé entre elle et Sally. Avec beaucoup de subtilité, la maman de Karl a fait montre d’une certaine indifférence par rapport à BB, se limitant aux convenances basiques d’une hôte. Ce non-dit pesant, où ses allusions légèrement perfides ont blessé celle que j’aime. Sally ne l’a certainement pas fait dans cette optique, mais l’irrésistible penchant à imposer ses schémas pour le bien prétendu de ceux qu’on aime (déviance affective caractéristique du château) fait fi des personnes que l’on a choisies. La différence entre Sally et Heïm tient au moyen employé : le ressenti et l’implicite pour la première, l’éclatement cathartique pour le second. Cela me conforte dans l’impossible rencontre entre mon univers sentimental (et sans doute familial, si un enfant naît de notre union) et les gens du Nord. Je manque sans doute de jugeote analytique et psychologique, mais pourquoi ceux qui prétendent m’aimer davantage que ma famille de sang ont systématiquement miné mes relations de cœur, que je sois totalement impliqué dans leur vie comme avec Kate, ou désengagé de toute responsabilité clef lors de mon histoire avec Sandre ? La présentation de BB à mes parents et mes frères n’a pas connu de raté, bien au contraire. Heïm prétendrait que les médiocrités s’assemblent, et bien je crois moi que la véritable saleté d’âme c’est celle qui veut imposer ses vues affectives, qui ne peut s’empêcher (malgré les engagements pris) de dériver vers les vieilles monomanies destructrices du chemin que l’on tente de se tracer pour mieux modeler à ses vues, à ses principes celui qu’on dit affectionner. Seuls les résultats comptent : je me sens infiniment mieux aujourd’hui à Lyon avec ma BB que je ne l’ai été depuis 1990 où je décidais d’accorder de l’importance aux avis des gens du Nord pour ma vie sentimentale naissante. Erreur qui m’a coûté dix ans d’éprouvantes incompatibilités. La fausse tolérance affective masquait un implacable travail de sape. Avec Sally et ce séjour à Royan, j’en ai eu les derniers rogatons.
Eu Heïm rapidement au téléphone ; il me confirme le plaisir qu’il a eu à me voir malgré les regrettables dérives de la fin (un couplet éculé pour le moins !) et souhaite m’envoyer un courrier plutôt que m’ennuyer au téléphone. Nous verrons bien la teneur de cet écrit, s’il arrive... Pour moi, la position à adopter est claire : le double jeu. Le temps de la vertu naïve est révolu. Si Heïm souhaite conserver ce lien affectif avec moi, ce sera au rythme qui me convient, et cela constituera pour moi l’occasion d’approfondir ici mes vues critiques et mes observations sur cet univers fui depuis 1997 (et certainement depuis bien plus longtemps inconsciemment). Si Heïm souhaite finalement publier le premier tome de mon Journal pamphlétaire, je ne le refuserai pas, mais cela ne m’empêchera pas d’étoffer le deuxième tome (A mon aune) de la distance critique sans qu’il ne s’en doute (tout du moins dans cette proportion et avec ce ton). Heïm a toujours fonctionné à double, triple, quadruple jeu avec les êtres : je me sens aujourd’hui totalement légitime à agir comme cela avec lui, et ce jusqu'à sa mort. Il ne servirait à rien qu’il soit informé de mon vrai ressenti, et de la rupture philosophique, existentielle, qui croît en moi, si ce n’est à me couper définitivement de ce champ d’observations que je n’aborde qu’avec précaution et très épisodiquement, car il reste dangereux pour moi. Je veux garder l’opportunité de pénétrer de temps en temps cet univers pour ne pas m’aigrir dans une critique gélifiée, mais faire œuvre de contempteur aux prises avec une réalité en mouvement.
Avec Karl, toujours la même complicité, un être que j’apprécie infiniment car il semble respecter la voie que j’ai choisie et mes choix sentimentaux, même si la pression idéologique des gens du Nord s’avère puissante de facto.

Mardi 20 août
Amusante information prise chez Corentin et Lydie : Sally a un compagnon dans sa vie, un dénommé Philippe (et même un second, Bernard) qu’elle connaît depuis une vingtaine d’années. Son logis parisien se situe en fait rue de l’Université dans un magnifique appartement... Quoi de plus normal finalement, mais un tel goût du secret depuis tant d’années pour ceux qui côtoient Heïm tranche, lui, sur l’ordinaire. Je ne pense pas que son fils soit au courant de cette facette de la vie privée de Sally.

Vendredi 30 août
Encore un nouveau message de Heïm sur mon portable, me témoignant son affection et me confirmant le plaisir immense qui je lui ai fait par mon séjour. Il se dit désolé de la tournure que cela a pu prendre sur la fin, de mon malaise croissant, et espère que je n’attendrai pas deux ans pour une nouvelle visite. Renouvellement de sa proposition d’édition. Cette affection me touche intellectuellement, mais je ne ressens plus tellement d’inclination sensible à son égard. Mon mail d’hier redonnait mon accord pour la publication du premier tome. Je ne peux, en revanche, augmenter à plus d’une par an, sauf cas de force majeure, mes visites au château. Cela doit rester exceptionnel pour que les digressions cathartiques se limitent au minimum.


Vendredi 13 septembre, train Lyon-Genève, 11h
Hormis les messages affectifs, Heïm n’a pas relancé concrètement sa nouvelle proposition de publication du Gâchis. Cela devait-il tenir lieu d’appât affectif se dégonflant sitôt mes distances reprises ? Voilà ce qui me gène : pas de vrai rapport d’auteur à éditeur, mais une suite de circonvolutions rhétoriques sans prise avec la réalité. Je n’ai aucune envie de relancer l’affaire, car cela m’obligerait à un rapprochement affectif factice. Le désintérêt pour cet univers s’accroît chaque jour, et ma résolution à en faire état par écrit se renforce.


Dimanche 22 septembre
Comme je le supputais, les avances éditoriales de Heïm n’ont été suivies d’aucune concrétisation. Au fond, cela m’amuse et me conforte dans ce détachement instinctif qui s’ancre aux tréfonds de moi. L’esbroufe convivialo-affective, où la seule priorité est de faire perdurer les conditions de vie choisies par Heïm, cette « prison dorée » comme il aime à le scander, ne me touche plus. Derrière les constructions diverses et les évolutions matérielles, je ressens la mort par des certitudes gélifiées : les personnages sortis de la vie de Heïm, les Nicole, Mad et Alice notamment, sont diabolisées pour mieux légitimer le reste. Mes gueulantes littéraires contre Alice avaient certainement un peu de cette déviance, même si j’ai été blessé, dans le rapport si affectif (presque intellectuellement sexualisé) qui existait avec elle, de son histoire avec Leborgne.
Peu de temps avant que n’éclate sa résistance ouverte à Heïm, qui fera son chantage au suicide, elle s’était confiée sur ses doutes concernant son père, la tentative de viol de son frère aujourd’hui magistrat disjoncté, et sa rupture avec le fond de cette vie. Finalement, je n’ai fait que suivre le même objectif, mais sans esclandre inutile et auto-destructeur. Il faudra bien qu’un jour le monolithisme de la vie familiale de Heïm soit étalé et scruté avec plus de subtilité sans s’arrêter à la version d’absents qui auraient tous les torts.


Lundi 23 septembre
Nouveau rebondissement dans l’affaire de la publication du Gâchis, qui contredirait mes affirmations grognonnes d’hier. Heïm m’appelle en fin d’après-midi pour m’assurer de sa volonté de le faire paraître dans son entier, et pour me louer la qualité du style. Sa thèse pour justifier les atermoiements éditoriaux : une implication excessive qui lui a fait occulter les données purement littéraires. Le désengagement réciproque favoriserait l’émergence de l’œuvre seule. Les éloges sur ce Journal ne sont pas les premiers qu’il me faits et il attribue à son entourage les critiques persistantes. Voilà encore une mixture ambiguë. Enfin, l’essentiel est d’en rester à des rapports auteur-éditeur : il doit m’envoyer dans quelques semaines un contrat d’édition. De là, seule la parution de ce texte, et son dépôt légal, devront nous occuper, sans dérive. Je garde ici ma distance critique, mais je ne vais pas me priver d’une édition sur dix ans de mon existence, réalisée par celui-là même qui a monopolisé mon engagement total économico-juridique. La logique sera respectée et la page de cette tranche de vie résolument tournée. En fait, c’est l’existence officielle de cet instantané littéraire qui m’excite, mais je ne vais pas dévier mes choix existentiels pour autant.


Lundi 30 septembre
Finalement, je me sentais bien plus à l’étroit au château d’Au, où les seuls moments de répit psychologique se limitaient aux neuf mètres carrés de ma chambre, que dans mon antre lyonnaise. A son aune, c’est bien le titre qu’il me faut pour cette nouvelle trajectoire existentielle.


Jeudi 17 octobre
Toujours pas de contrat d’édition pour le Gâchis que Heïm me promettait dans la quinzaine suivant son appel, le 23 septembre dernier. Cela tourne franchement au gag éditorial. Même si le projet parvient un jour à son terme, je ne jugerai cela que justice au regard des multiples retardements et vraie-fausses décisions annoncées. En tout cas, cela ne me fera certainement pas interrompre la visée nouvellement critique de l’univers de Heïm, de sa gestion désastreuse de l’affectif et des jeux divers et manipulatoires qu’il pratique dans la relation humaine. Combien il est bénéfique pour mon équilibre psychique de m’être extrait de ce vase clos névrotique. Et si Sally, de son côté, peut-être en concertation avec Heïm, pensait que ses élans affectifs et son rapprochement allait me faire renouer de façon régulière avec le château d’Au, elle se trompe gravement. Le lien qui subsiste, au nom des trente années partagées (dans le culte de Heïm et/ou dans la forme de vie embrassée), ne donnera plus lieu qu’à d’exceptionnelles et brèves entrevues, sans jamais y mêler ma vie sentimentale (et peut-être familiale). La seule personne qui pourra une fois m’accompagner, par curiosité de cet univers, c’est Shue, en amie. Rien de ce qui fait ma sphère lyonnaise n’y sera convié. Si cela ne leur convenait pas, la rupture définitive s’en suivrait, et ce sans aucun effort de ma part. L’éloignement est tel que cette situation serait même davantage conforme à mon état psychologique que le ressassement sporadique du passé.

Dimanche 27 octobre
Toujours rien reçu de Heïm. Trop occupé, comme d’habitude, sauf lorsqu’il s’agit de manier les cordes affectives pour mieux se rassurer sur son impact persistant. Hé ! aucune aigreur de ma part. Le risible de cette proposition éditoriale toujours recommencée m’amuse plutôt et me conforte dans une méfiance grandissante envers l’auteur de ces promesses à la consistance barbe-à-papaïenne, si on me passe ce barbarisme bancal. Je ne veux même plus essayer d’imaginer l’argumentation justificatrice détaillée à ses proches. Le soubassement du vécu me suffit amplement pour l’éclairage critique.
Comment je serai perçu par cet entourage lorsqu’ils connaîtront la teneur de ces pages ? Sans doute de terrible façon, et bien tant pis si le simple exercice de la liberté d’écriture (au surplus dans un genre intimiste) les révolte. Il me faut d’autant plus contraster avec les dix premières années de ce Journal qui a souvent versé dans le laudatif systématique ou dans le silence approbateur.

Jeudi 31 octobre, 23h45
Mes retrouvailles affectives avec des parents qui, depuis qu’ils ont trouvé l’âme sœur (merci Anna et Jean) se sont comportés d’exemplaire façon avec moi, ne valent-elles pas mieux que le malaise diffus éprouvé en côtoyant les Gens du Nord ? Heïm et ceux qui lui sont proches ne peuvent que compliquer votre rapport au monde et hypothéquer la rencontre de votre vraie dimension. Il m’a fallu cet exil lyonnais volontaire pour enfin me rapprocher de ma nature, de mes aspirations (si modestes soient-elles) sans subir l’oppressante présence qui se targue de ne vouloir que votre bonheur. Tartufferie minante pour le moins. Il me faut, peu à peu, décortiquer à l’aune du vécu les failles, les travers et les dangers de cet univers que j’ai si passionnément défendu. Encore une fois, je ne renie rien de mes choix antérieurs, mais je trouve salutaire l’évolution intellectuelle et de se débarrasser des vérités révélées, de triturer les reliques imposées.


Dimanche 17 novembre
Le gag éditorial se prolonge comme prévu : toujours pas reçu le contrat d’édition pour la publication du Gâchis. Bien sûr Heïm me justifiera, le temps venu, cette nouvelle promesse non tenue, et il légitimera sa gestion du dossier éditorial à ses proches sans que rien ne leur apparaisse anormal… Pathétique seconde partie d’existence, tout de même… Et même si la publication est effectivement réalisée un jour, cela ne pourra occulter ces atermoiements, volte-face et double discours qui auront jalonné ses manipulations depuis un engagement pris il y a deux ans et demie.


Jeudi 21 novembre
Hier, message sur mon portable de Heïm qui, de façon pour le moins incongru, commence par un « bonjour, c’est papa ! ». Un peu, beaucoup déplacé aujourd’hui. Cet entêtement à faire de l’affectif m’irrite. Je préfèrerais des rapports amicaux efficaces dans les engagements pris. Son appel concernait une chose que j’aurais dû recevoir… peut-être, enfin ! un exemplaire du Gâchis, avant tirage ! Sans doute un peu trop irrespectueux comme ton… l’intimité du Journal doit tout me permettre ; c’est à cette condition essentielle que l’écriture conserve un sens. Cela permettra de rééquilibrer l’approche laudative des années 90.


Vendredi 22 novembre
Encore une manifestation de Heïm qui prouve que nous n’avons plus du tout la même optique dans le rapport à l’autre. J’attendais un contrat d’édition promis, voire un exemplaire prototype du Gâchis (puisqu’il m’annonçait hier, par message, un paquet) : je reçois deux nouveautés de ses activités éditoriales. L’Histoire d’Au et Le Pieu chauvache ! M’adresser la monographie d’une commune dont je me suis éloigné par suite de divergences existentielles avec son châtelain qui se voudrait seigneur des lieux, et l’une de ses œuvres relookée, alors que j’ai cessé de m’immerger dans sa littérature suite aux distances intellectuelles éprouvées, cela relève soit d’une insidieuse intention, soit d’une inconscience totale de l’évolution de notre rapport. Finalement, le contraste entre ce que j’attendais et ce que j’ai reçu m’amuse pour la relation de ces manifestations sporadiques. Je ne vais point m’en formaliser. J’attends toujours…


Dimanche 24 novembre
23h50. Enfin ! Coup d’accélérateur pour la parution du Gâchis. Réception d’un courriel de Heïm me demandant une courte notice biographique (je prends conscience à l’instant de l’omission de la mention du mémoire de lettres édité en 1996), une quatrième de couverture et une photo récente. Par souci de ne pas laisser traîner en longueur cette nouvelle impulsion, j’ai envoyé le tout par retour aujourd’hui. Fin de semaine prochaine je dois recevoir le contrat d’édition, alors qu’au début le bon à tirer me sera déjà parvenu. A moi de le retourner avant la fin du mois si je souhaite une sortie avant Noël, deux ans après celui de ma trentaine qui devait voir naître cet ouvrage. Prudence donc, mais je ne vais pas me priver de cet aboutissement peut-être proche. Ma position reste claire : je ne regrette pas les années du Gâchis, et je ne vais pas m’interdire sa publication même si je critique aujourd’hui une vie et un alentour dans lesquels je me suis beaucoup engagé.


Lundi 2 décembre, 22h
Nouvel éclairage sur son exploitation des défauts de ses proches, sous couvert d’un esprit de dérision qu’il se targue de s’appliquer à lui-même. Mon père vient de se libérer, grâce à un cardiologue inspiré, d’un problème pris depuis trente ans comme une tare insoignable et honteuse. En immense amitié avec Heïm à l’époque de sa vingtaine, il avait confié cette gêne digestive qui lui faisait remonter une partie de ses aliments, obligé alors de les mâcher à nouveau à la façon d’un ruminant. Cette confidence aurait dû rester à ce stade ou, éventuellement, permettre de recevoir un conseil judicieux pour y mettre un terme. Or, non seulement l’épanchement ne fut suivi d’aucune recommandation, mais Heïm se servit du secret pour ridiculiser mon père dans ses portraits au vitriol lors de repas catharsis. Finalement l’affaire était totalement bénigne, parfaitement résorbable, mais l’impact psychologique a fonctionné comme un carcan inhibiteur jusqu’à ce récent conseil médical. Illustration d’une certaine gestion de l’être humain avec pour seule ligne de mire : servir ses intérêts.


Mardi 3 décembre, 23h50
Trop alarmiste sans doute, mais je n’ai plus de nouvelles de Heïm depuis que je lui ai envoyé les éléments pour la publication du Gâchis. J’espère que cela n’augure que la préparation technique du tirage. A défaut, il passerait vraiment, à mes yeux, pour un pignouf affabulateur. Je ne peux y croire… à moins que cette stratégie de la douche froide soit la sanction allouée pour mon éloignement affectif. Je ne peux croire à cette nouvelle désillusion…


Samedi 7 décembre
Reçu hier un appel de Sally qui se demandait si nous aurions le temps de déjeuner avec elle à Paris lors de notre passage. J’ai argué du planning, portefaix d’engagements divers, pour décliner l’offre. La réalité complémentaire tient à une incompatibilité d’humeur avec BB. Sally, en contradiction avec l’harmonie phonique, m’incite à n’entrevoir que des rencontres isolées, sans BB, et donc forcément plus rares.
J’ai, en revanche, invité Karl à venir partager la transition annuelle avec la bande lyonnaise. C’est bien le seul de l’ex famille affinitaire avec qui je n’ai aucune gêne relationnelle. Sa grande qualité : n’avoir jamais cherché à imposer, par la pression psychologique et par le sous-entendu perfide, sa conception de ce qui doit faire l’entourage et la vie sentimentale de ceux qu’on prétend aimer. Déviance insupportable chez Heïm, Sally, etc.
Ce Journal ne peut prendre sa dimension que par les deux tendances extrêmes réunies en perspective : dix ans d’engagement forcené et laudatif, et cette nouvelle ère du regard critique, lui aussi, sans doute parfois, outrancier. Cela s’érige pourtant comme une nécessité pour contrebalancer l’époque première, et comme un instinct stylistique propre au diariste pamphlétaire. Pourquoi épargnerais-je ceux que j’ai côtoyés aussi pour le pire alors que je n’ai jamais éludé l’autocritique féroce ? Impératif purgatif en quelque sorte.


Samedi 21 décembre
Progressivement, je tape dans Word ce qui constituera peut-être un jour A mon aune, le deuxième tome de mon Journal pamphlétaire. Mars 2001, auquel je suis rendu, marque le tournant dans mon sentiment émergé sur ceux que je baptise désormais les « gens du Nord », mon ex famille affinitaire. Le fait déclencheur, le non-respect de l’engagement éditorial à publier Un Gâchis exemplaire relève, avec la distance, du prétexte en forme de détonateur. Le regard critique couvait en fait depuis la fausse promesse de fiançailles faite par Heïm à ma Sandre d'alors. J’ai pris là de plein fouet le jeu manipulatoire qui m’a renvoyé à de bien plus anciens événements.
Ce n’est pas la publication prochaine du Gâchis, en forme de clôture d’une tranche essentielle de mon existence, qui va me faire changer d’un iota ma récente perspective à décrier l’encensé d’hier.

2004

Samedi 3 janvier
Aucun vœu envoyé à Heïm et son entourage. Pas plus qu’à Sally ou Hermione. Moins je me manifesterais auprès d’eux, mieux je me porterais. Le dernier courriel du feu inspirateur m’a révulsé et n’a fait qu’accentuer ma méfiance à l’égard de tous ceux qui conservent un rapport avec lui. Qu’il en sache le moins possible sur ma vie. Ne devrais-je pas profiter de ce déménagement pour couper définitivement tout lien ?


Jeudi 8 janvier
Mardi soir, Heïm parvient à m’avoir au téléphone en masquant son numéro. Occasion de s’expliquer sur son dernier courriel et de jouer la carte affective. Je donne le change et reçois durant trois quarts d’heure un quasi monologue sans nouveauté : toutes les merdes sorties de son univers, le voilà plus riche que jamais, la réussite en marche ; circonvolutions autour du Gâchis qu’il veut voir paraître mais contre lequel son entourage fait blocus ; distinction qu’il fait entre moi l’écrivain qu’il apprécie et mes choix existentiels qui m’éloignent. Il ponctue ses antiennes d’élans affectifs que je trouve déplacés au regard de la minceur actuelle de notre lien. A plusieurs reprises, il rend hommage à son neveu Henri Lourdot et à sa fille Hermione, deux exceptions de son entourage à avoir réussi.
Cette primauté au fric et à la volonté de paraître comme critère d’excellence de vie m’écoeure. Et c’est lui, et sa clique suiveuse, qui reprochait à Sandre son matérialisme outré ! A s’en tordre de rire jaune… Mais, évidemment, cela n’a rien à voir entre gens intelligents, de bonne compagnie. On ne peut les comparer avec cette petite médecin arriviste. Quelles grosses ficelles dans leur fonctionnement intellectuel et pseudo éthique.
Heïm semblait intrigué par mon aveu d’un malaise malgré moi, lors de mes dernières visites. Comme si je suais l’inadaptation à ce milieu fui à partir de 1999 (et, en fait, dès 1997). L’enthousiasme affiché pour les évolutions matérielles au château d’Au ne peut masquer une défiance définitive pour les travers qui l’animent.
Cultiver ce double et contradictoire objectif : préserver Heïm d’un chagrin supplémentaire, et maintenir un ascendant symbolique par la double face de mon positionnement. Conciliant lors des quelques échanges oraux, intolérant à l’écrit pour rééquilibrer la tonalité globale.
Si certains trouvent l’extase dans l’amassement financier et l’abondance matérielle, moi je déniche mes sources jubilatoires dans le témoignage littéraire sans bride. Si j’avais à résumer l’essentielle leçon tirée de ces années châtelaines : ce n’est pas dans le nombre d’hectares possédés et dans les siècles cumulés pour sa terre et sa demeure que l’on tirera forcément l’envergure et la qualité de son existence. Vivre à sa mesure pour qu’un terreau plus sain favorise l’épanouissement de ses éventuels talents… Ni dieu, ni Marx, ni Heïm !


Lundi 19 avril, 0h30
Toujours dans l’aménagement de la pièce principale. Chaque construction dans ce lieu me libère un peu plus du monde de Heïm, lequel m’a d’ailleurs laissé un message il y a une dizaine de jours, me demandant de le rappeler, si j’en avais l’envie. Eh bien justement non ! Plus une once ! L’effondrement de cet univers, sans renier le passé, s’impose à moi, naturellement.


Mercredi 15 septembre
Mon passage éclair au château d’Au m’a permis de découvrir les divers aménagements de la propriété, et de partager un déjeuner alcoolisé avec Heïm. Moment affectif, mais sans plus pour l’impact émotionnel. Ses activités se diversifient et fonctionnent, paraît-il. Quelques allusions aux dettes du passé qu’il éponge encore, une révélation de ma part sur la vie sentimentale de Sally, et puis les mêmes rengaines…


Mardi 28 septembre
Rapide entretien avec Sally au tél. Après mes révélations enivrées à Heïm, elle a dû subir le flot ordurier du bonhomme par courriels vengeurs. Le style brut lui souhaitait « qu’elle crève au plus vite pour rejoindre son con de frère ». Voilà de l’affection dénaturée par le vitriol d’un « vieil alcoolique » (selon sa propre qualification).
Je devais, moi, révéler mon rôle d’informateur aviné dans cette affaire peu glorieuse. Sally n’a pas semblé m’en vouloir…

Jeudi 23 décembre
Hier encore, Heïm sollicite un peu de mon temps pour me témoigner son affection exacerbée par quelques Bisons et tenter de comprendre, par mon éclairage, le pourquoi de ces éloignements en série qui ratatinent son Noël à un séjour chez sa vieille maman. Alternant les vagues d’effusion, les à-coups de véhémence (contre Sally, notamment), l’auto-célébration et la quasi flagellation, il souhaite saisir ce qu’on peut bien lui reprocher.
Je ne cède pas à sa démarche, demeure sur la réserve, ne lui réitérant que du réchauffé, lui laissant le soin de compléter les vides par sa logorrhée désespérée. J’assiste au rythme périodique de ses cafards, à l’inexorable réalisation de ce qu’il appréhendait vingt ans plus tôt pour sa fin d’existence : rejeté par la plupart, riche et isolé hobereau dans son domaine. Il cumule les hommages à mon endroit et j’exécute mon rôle sans concession. Que peut-il subsister de ces faux-semblants si ce n’est la conscience des désillusions cumulées ?


Dimanche 26 décembre
Oublié de noter l’incohérence de Heïm lors de son dernier appel. Voulant connaître les reproches que j’avais à lui faire, j’évoque sa volte-face à propos de la publication de ce Journal : en guise de justification, il me rappelle ma visite à l’hôpital du Val de Grâce, lors d’une de ses hospitalisations, au cours de laquelle ma réserve à ce projet l’aurait décidé à abandonner ! C’est bien tout le contraire qui a eu lieu : c’est mon enthousiasme qui m’a fait accroire à sa ferme volonté de m’éditer et qui m’a lancé sur le titanesque labeur de l’index général. Jamais je n’aurais entrepris ce fastidieux travail sans promesse d’ouvrage au final, mon masochisme supposé ne va pas jusqu’à la crétinerie.
Tenant à ma nouvelle ligne de conduite, je n’ai pas souligné sa confusion de dates et de moments.

2003


Dimanche 2 février
Que ce temps file ! Ne pas trop s'y arrêter, sous peine de malaise existentiel.
Février s'amorce et, à nouveau, silence radio de Heïm. Sa nouvelle promesse éditoriale va-t-elle aussi se limiter aux lyriques déclarations de principe ? Cela confinerait alors à la bouffonnerie.

Samedi 15 février
Hier soir, gourmande Saint-Valentin avec ma BB au Trocadéro, restaurant gastronomique du sixième. Au cours du vagabondage intellectuel, j’évoque ma position à l’égard des Gens du Nord, et de Heïm, en première ligne. La phase véhémente de ces derniers mois, volontairement outrancière, s’explique aisément par le besoin de contrebalancer des années d’adhésion a priori, à l’aveugle, à tous les constituants de cette vie partagée ; une adéquation moléculaire en quelque sorte. Démontrer aussi, par la mise en perspective des écrits et des actes, qu’une distance critique, aussi affirmée soit-elle, ne se traduit pas par de clandestins rapprochements avec ceux qui ont pris le large avant, parfois de plus fracassante façon. Pas d’intention de nuire, de désespérer davantage, mais l’impérative exigence de consigner un ressenti aux antipodes des croyances fusionnelles antérieures. Honnêteté intellectuelle du diariste en herbe, en fait. Très naturellement, au fil des années, ces assauts virulents contre certains présupposés de Heïm s’émousseront au profit d’une plus panoramique position.
Une entrevue avec ceux qui ont rompu avec Heïm ne pourrait avoir lieu, de mon fait, qu’après sa mort. Ne pas surajouter aux déchirures, par des rapprochements incongrus, conditionne ma réserve. Aucun esprit de ligue anti Heïm chez moi.


Lundi 26 mai
Juin approche et rien n’annonce la publication du Gâchis… j’aurais mieux fait de conserver l’info pour moi tant que l’ouvrage n’était pas effectivement sorti. A trop étaler des perspectives irréalisées, je dois apparaître un peu léger ou incapable d’obtenir les choses promises.
Là, c’est vrai, je n’irai jamais réclamer quoi que ce soit à Heïm. Plus aucune relation d’attente. Je demeure juste attentif à la réalisation d’une promesse vieille de presque trois ans. Que cela aboutisse ne serait que normalité ; si cela rejoignait les oubliettes, je me conforterais dans la défiance pour cet univers.


Mercredi 4 juin
Hier, réception d’un courriel d’Heïm m’informant des dernière dégradations physiques : le risque de paralysie d’un pied et le soin apporté par un produit réservé normalement aux enfants épileptiques. Rappel de la quarantaine d’heures de travail pour la mise en page du Gâchis et qu’il n’y peut consacrer qu’une heure par jour ouvrable… autant dire un report minimum de deux mois, avant la coupure d’août et une rentrée surchargée !
Le refrain m’est familier. J’ai renvoyé un courriel affectif, mais lapidaire. Pour l’anecdote, ces quarante heures de labeur m’avaient été annoncées il y a quelques semaines déjà, par message téléphonique. Elles semblent ne pas avoir réduit d’une seconde depuis lors : un labeur sisyphien en quelque sorte… ou une argumentation de moins en moins subtile… A la recherche d’un Gâchis perdu pourrait baptiser cette chronique éditoriale épisodique.


Samedi 26 juillet
A quatre jours de notre départ pour la Corse via Arles, Marseille et Nice, un courriel de Heïm dont l’objet spécifié ne laisse aucun doute sur le sujet du contact : « Gâchis ». Il m’annonce la parution pour avant le 15 août et me rappelle à nouveau le « boulot colossal qui a ralenti son travail de mise en page. » Si l’on ajoute un problème d’œil et sa grande difficulté à « rencontrer » Karl pour qu’il l’aide à finaliser le volume (entrevues qui seraient presque aussi rares que celles avec moi, depuis quelques années : l’allusion s’imposait !), je dois comprendre aisément le retard. A moins d’un nouvel impondérable, je devrais me lancer dans une rentrée promotionnelle pour tenter d’en vendre quelques exemplaires.
Heïm ajoute que s’atteler à publier un ouvrage qui traite d’un fiasco éditorial, alors qu’aujourd’hui les affaires vont très bien, lui fait une drôle d’impression. Hé ! Serait-ce une façon de charger un peu plus son ex entourage du désastre occasionné, maintenant qu’il dirige directement les activités ? A moi aussi, mais pour de toutes autres raisons, cette période m’apparaît comme une préhistoire de mon existence. Combien je préfère, si modeste soit-elle, mon atmosphère de vie actuelle. Pas l’impression d’être rentré dans le rang, car je reste réfractaire au fonctionnement de notre société, que j’ai fait des choix qui visent à me soumettre le moins possible à ce système (refus de la conduite, d’une démarche carriériste) et à rester très sélectif dans mon relationnel amical. Plutôt le sentiment de m’être trouvé, dans un équilibre, certes précaire, qui ne repose que sur ma propre responsabilité, sans dépendances ingérables.
Comme à chaque fois depuis cette prise de distance par rapport à l’univers de Heïm, je réponds sans m’étendre, assurant le minimum affectif, mais évinçant tout épanchement qui pourrait donner prise à d’inutiles gloses. Je n’éprouve d’ailleurs aucun chagrin. Salutaire éloignement pour les deux parties, ce qui subsiste tient à une fidélité aux liens passés et à d’éventuelles accroches intellectuelles, littéraires. Rien de plus ne pourrait germer, cela relèverait du grotesque réchauffé, de l’artificiel inassumable pour moi. Quelques manifestations écrites par an, une rencontre quelques jours à titre exceptionnel, et de plus en plus espacée de la précédente si les mêmes monomanies cathartiques s’imposent chez les hôtes : voilà ce qui a succédé à l’intense complicité en premier acte et au névrotique rapport du deuxième acte.

Mercredi 3 septembre
Je relisais hier les courriels échangés ces derniers mois avec Heïm : ses promesses successives pour qu’une nouvelle fois je ne vois rien venir. Quelles que soient ses raisons, le silence à mon dernier message (pour son anniversaire) relève de la pignouferie affective. Impossible d’avoir avec lui un rapport sain et carré d’auteur à éditeur. Je comprends mieux qu’il ait centré son action, ces deux dernières décennies, sur la publication de feux écrivains…


Mercredi 17 septembre
Clôture du compte Histoire locale qui ne fonctionne évidemment plus depuis belle lurette. Une façon de m’écarter définitivement de Heïm and Cie. Aucune manifestation de leur part, manquement complet à leurs engagements : qu’ils aillent se faire foutre tous autant qu’ils sont. Désintérêt total désormais, si ce n’est comme sujet de défoulement.


Samedi 27 septembre
Moins enthousiasmant, un énième message de Heïm, peu compréhensible à l’enregistrement, mais dont je saisis l’essentiel des antiennes : ses difficultés à obtenir l’exécution des ordres donnés (ainsi le contrat d’édition que Monique doit m’envoyer depuis un an, mais « tu la connais… »), le travail incommensurable, les aléas de santé… Heureusement que ce rythme éditorial n’est pas celui adopté pour MVVF, sinon la prestigieuse collection compterait vaillamment trois titres et demi depuis quinze ans, et non les presque trois mille. Quelle bouffonnerie, ce projet !

Lundi 27 octobre
Les manifestations sporadiques de Heïm (la dernière probablement provoquée par sa mise au courant par Karl que j’allais devenir propriétaire) ne me touchent plus. Je me sens totalement étranger à son univers, sans aucune envie d’avoir des nouvelles, ni moins encore de le visiter. Cet équilibre lyonnais m’a sans doute définitivement vacciné de tout regret envers ce monde idéalisé durant presque trente ans. Seules des relations duales, avec Karl notamment, pourront subsister. Même avec Sally la distance est en marche : à chaque entrevue d’inacceptables sous-entendus (la perfidie féminine) sur celle que j’ai choisie. Je devrai, un jour ou l’autre, recadrer les choses en posant comme condition à toute poursuite relationnelle la cessation de cette vase allusive. Relations qui se clairsemeront de fait puisqu’il est exclu que j’incite ma BB à m’accompagner. La hiérarchie s’impose naturellement : je ne verrai Sally que lorsque l’absence de ma dulcinée me le permettra. Mon existence s’affirme, depuis plusieurs années, ailleurs que dans ces rogatons de pressions pseudo affectives. Mon engagement pour BB doit au moins équivaloir en détermination (d’autant plus qu’il s’affirme dans la sérénité) celui de la défunte adhésion pour le monde de Heïm. Si je n’éprouve plus un iota de penchant pour cet univers, est-ce parce que je suis devenu un monstre insensible ou parce que l’épuisement réciproque a été tel que rien ne peut faire renaître chez moi une amertume, un regret, une envie… ?


Samedi 13 décembre
Quant au reste septentrional, aucun signe, et cela me convient parfaitement. Comme me semble loin cette période vécue pourtant si intensément ! L’impression d’un univers si étranger à moi aujourd’hui, qu’aucune parcelle de regret ne pourrait germer, même en me forçant. Contrairement à mon père qui a toujours conservé une certaine nostalgie de l’aventure humaine partagée avec Heïm, je n’éprouve moi que soulagement à m’être éloigné et indifférence pour leur devenir. Alors pourquoi écrire dessus ? Parce qu’intellectuellement cette transmutation spontanée m’intrigue et que je veux inscrire ma révolution psychologique en rupture extrême avec l’état qui a prévalu pour les dix premières années de la tenue de ce Journal. Les témoignages successifs sur mon ressenti forment une mosaïque littéraire à finalité purgative pour l’esprit.


Mardi 16 décembre, 23h30
La morphologie du visage barbu de Saddam Hussein m’a rappelé un visage naguère familier…


Mercredi 17 décembre
Fatigue, quand tu court-circuites la déjà faiblarde inspiration !
Mardi, vers 18h, message de Heïm sur mon portable. Auditivement alcoolisé, quelques rasades de Bison flûté ayant imbibé le désespéré, il m’adresse un discours peu cohérent, mais chargé d’antiennes. La non parution du Gâchis ? C’est maintenant la faute de Karl ! Cela ferait trois mois que Heïm se battrait vainement pour cette parution. Se rend-il compte du ridicule de cette justification ? Depuis quand sa détermination ne peut-elle plus obtenir une tâche professionnelle de son fils ?


Jeudi 18 décembre, 0h15
Mon intérêt pour rendre compte du message délirant semble pour le moins étiolé. Le contenu en vrac n’attire en rien la fibre enthousiaste, mais ferait plutôt remonter des atmosphères fuies. Les quelques photos de la réunion à Rueil, envoyées par courriel à Karl, lui sont tombées sous les yeux fortuitement et l’amène à la déclaration confuse de trouver ma « petite amie magnifique » (attribution à Shue d’un statut imaginaire), de faire allusion à ma mère (évidemment absente à cet endroit), d’évoquer le regret d’avoir payé un avortement (allusion à un sordide événement qu’il aurait géré avec Sally ?) et quelques autres énigmes du même acabit. Seule vraie et terrible information délivrée : le mari de Béatrice s’est pendu ! Heïm ajoute qu’il me révélera, si un jour je le revois, le nombre de gens qui, autour de lui, se sont supprimés « derrière leur dégoût ». Voilà en plein la logorrhée verbale à l’œuvre.
Décidément, rien ne va plus dans ma perception du personnage… L’indifférence doit expliquer ma difficulté à rapporter ces propos. Qu’à chacune de ses interventions il m’avance une nouvelle raison à la non parution du Gâchis confine au comique. Il lui faut bien tenir la promesse faite à mon père que ce Journal ne sera jamais édité. Dérisoire gesticulation épisodique. Je n’en veux pas de son incertaine volonté affichée de me publier. Restons en là, et que mon engagement à ses côtés croupisse à l’endroit adéquat.


Dimanche 21 décembre, 9h
Après mon courriel expéditif à Heïm, le premier du genre, nouvel appel que j’ai volontairement laissé pour ma messagerie. En résumé : il souhaite vraiment que ce Journal paraisse, mais il faut me tourner vers Karl, car lui ne peut plus rien et que le reste de la maisonnée (en clair Monique, son épouse et, peut-être, en seconde ligne, le couple Hermione-Angel) me voue une haine qui fait bloc contre cette parution.
Voilà qui me ravit ! Qu’il est doux d’être détesté par ceux que l’on découvre avec le temps pour ne plus éprouver à leur endroit que mépris et indifférence. Pour Heïm, il reste de l’affection et un intérêt humain qui me poussent à rapporter ses tergiversations plus ou moins alcoolisées, mais ses compagnes monomaniaques, quel terne sujet ! Leur abhorration (si cela est exact) m’est donc d’une douceur infinie…
Je vais donc suivre les conseils de Heïm, pour voir… Me tourner vers mon ami Karl et tenter de donner la dernière impulsion pour la sortie de ce malheureux Journal, dont la tonalité décennale s’éloigne de plus en plus de ce que j’écris aujourd’hui. Peu importe. Comme nous le répétions en cœur avec mon père lors d’une vive discussion avec Jim (et BB secondairement) sur le château, quelles que soient nos critiques actuelles, nous ne rejetons rien de ce qui a été vécu, sinon ce serait se renier un peu soi-même.


Mardi 30 décembre, 23h
Pour finir l’année, rien ne vaut une bonne confirmation de ses certitudes. Dès notre arrivée à Lyon, je vais consulter mes nouveaux courriels. Parmi eux, un de Heïm dont la méprisable tonalité m’a poussé à l’effacer sans l’imprimer, tellement écoeuré par la tournure d’esprit malfaisante.
Il m’offre un petit tour d’horizon des échecs de ceux qui se sont éloignés de son univers : les Béatrice, Alice, Hubert, Mad et Sally comme autant de confirmation de ce qu’il avait prévu pour chacun, comme autant de petites merdes rendant plus brillant son parcours. Le discours à la Pomponnette, me visant indirectement comme l’un des « ratés », s’impose en caricature.
Ce racleur d’informations, qu’il tourne à sa sauce pour maquiller sa propre déchéance, me donne la nausée. Il a dû bien gratter Karl et Sally, pour en savoir un maximum sur mon actualité professionnelle et sentimentale, le tout l’autorisant à ce dégueulis indirect sur mon compte. Et bien je l’emmerde le vieil alcoolo ! Et je ne veux plus entendre parler de son projet éditorial de merde ! Et qu’il ne dérange plus ma douce et tendre existence avec ces remugles d’une préhistoire de vie.
Ce qui le dérange dans la publication du Gâchis ? Que je malmène, vers la fin, un banquier de la Caisse d’épargne qui tardait à débloquer un prêt pour la SCI et qui, aujourd’hui, est tout amour et aurait permis de sauver la situation de cette structure et des finances du château, pour laquelle le feu patriarche n’était aucunement responsable ! Bien sûr, bouse et trahison ne sont les pratiques que des autres. Si ce n’est pas le modèle le plus détestable de l’opportunisme affectif et social… qu’est-ce ? A l’époque, il se contentait très bien que je m’occupe de ce dossier, et les retards existaient objectivement. Au prisme d’aujourd’hui, cela ne compte plus, et mieux : cela n’a jamais existé. Le révisionnisme malhonnête et permanent de son histoire ne pourra que laisser perplexe ceux qui voudront, sans parti pris préalable, étudier l’être dans sa globalité. Tout ce qu’il souhaite, c’est que je renonce moi-même à ce projet d’édition, le dispensant de renier sa parole, ou que j’accepte de repasser sous ses délires pseudo purgatifs. Il a gagné pour l’option première : je ne veux plus du Gâchis sans A l’aune de soi qui contrebalance la vision. Cela ne se fera donc jamais du vivant de Heïm. Je n’ai pas envie de lui offrir ce dernier plaisir ! Je cultiverai jusqu’au bout l’apparente distance affective, pour mieux noter ici mon rejet grandissant. Berner un manipulateur ne peut soulever l’indignation.

2005

Jeudi 30 juin
Le ciel étant incertain, nous partons une journée en Vendée à la découverte d’un musée consacré aux chouans et aux crimes de la Terreur. Souvenir de mes jeux royalistes où j’incarnais George Cadoudal, Karl Jean Cottereau et Hermione Jean de Florette à la chasse des Bleus à saigner. Ce trio enfantin me reste comme le meilleur de ce passage au château d’O : intense complicité de deux garçons et une fille de l’année 69, affection développée par les multiples jeux partagés, imagination débordante pour nourrir nos gourmandises ludiques, l’affirmation progressive de nos caractères préadolescents sans fragilisation de nos liens. Voilà tout le positif de ce partage dans un cadre unique, féerique. Quel dommage que la dimension apportée par Heïm se charge de peu reluisantes dérives.
Tous les sujets mènent à Heïm ? Impression de ces dernières pages. Un T.O.C. littéraire ? No Comment.


Mardi 26 juillet
Hier soir, appel inattendu de Heïm. Il vient d’avoir, quatre heures durant, la première petite amie identifiée de Hubert qui a partagé avec lui notre appartement commun à Pantin. Occasion de déverser ses souvenirs et analyses ; pour Heïm, l’absorption de quelques bisons et la plongée dans ses sempiternelles interrogations. L’objet de son appel : comprendre le gouffre entre l’affection manifestée lors de mon dernier passage exprès (conclu par le gerbage dans la voiture de Karl) et le silence quasi absolu qui s’en est suivi. Comme à chaque fois, dominante d’un monologue outrancier et déformateur de mes propos. Aucune envie de polémique avec lui, j’absorbe cette logorrhée verbale tout en glissant quelque semblant d’explications. Que faire, que dire, lorsqu’on ne ressent plus qu’un grand vide étranger lors de ces manifestations sporadiques ? Rompre en clair, puisque la signification de mon comportement ne lui suffit pas ? Je ne lui fournirai pas cette ultime victoire prétendue sur la justesse de ses prévisions (prédictions). Le balancier entre son affection affichée et les reproches larvés conditionne son approche. Je limite mes rares interventions au « rien à déclarer ». Ses soixante ans se feront sans ma présence, tout juste une petite manifestation par courrier ou texto.
Parmi son fatras argumentatif, nouvelle allusion à la non-publication de mon Journal : pas une question financière (je m’en serais douté !) mais le décalage incongru (et donc intolérable pour lui) entre sa formidable réussite actuelle et la narration de mon échec. MON échec ? Voilà un nouveau motif bien gonflé de mauvaise foi. Oublié l’action collective, ne reste plus que mon endossement final pour protéger les autres. Alors soit ! Qu’il me pardonne alors ce détachement critique que je ne réfrènerai pas. Tout intègre, fidèle, magnifique qu’il se dépeint, la salauderie n’est pas loin…


Samedi 13 août
Hier, Heïm a eu soixante ans, à fêter dans le cercle le plus restreint qu’il pouvait imaginer. Aucun enfant de sang à ses côtés, des enfants de cœur réduits à la furtive présence de Karl, son épouse, sa mère peut-être, et sa complice collaboratrice Monique. A moins que quelques amis lui aient rendu visite. Pour ma part, j’ai limité ma manifestation à un courriel lapidaire. Peut-être lui enverrais-je un présent depuis la Touraine, lors de ma petite semaine de vacances.


Lundi 29 août
Lors d’un déjeuner avec ma BB, j’évoquais l’idée de reprendre contact avec Alice, une fois Heïm décédé. Pourquoi attendre ? Pour ne pas présenter le flanc aux critiques qui conforteraient un peu plus Heïm dans ses certitudes d’avoir raison sur tout et tous. Je dois l’avouer, les deux êtres dont je regrette de m’être éloigné pour la complicité quasi permanente que l’on partageait se résument à Karl et Alice. Si je conserve un lien épisodique avec le premier, la seconde a subi mes foudres, et sans doute ma haine circonstancielle, lors de sa rupture affective avec Heïm et surtout de son départ avec Leborgne me laissant la charge de liquider Sebm. Très loin tout cela, et j’en viens presque à lui donner raison. J’espère qu’elle ressent les mêmes choses, et qu’une fois la lourde présence de Heïm évanouie, nous pourrons rétablir une saine et inaltérable affection.

2006

Mardi 1er août
Cette nuit, l’un des rêves m’a ramené vers l’attachante figure d’Alice. Que devient-elle ? Emouvant de se remémorer les complicités partagées. Terrible de songer aux années qui défilent sans pouvoir lui témoigner de mon affection toujours vive. Sans conteste celle qu’il me coûte le plus de ne pas revoir même si, probablement, je ne pourrais retrouver la silhouette et le caractère connus. Et dire que la dernière fois que je l’ai vue, à Misery, dans une extrême tension, elle m’a lancé, profitant d’un départ dans la cuisine de son compagnon, « pourquoi ne m’as-tu pas sautée ? » ce qui aurait effectivement évité qu’elle ne s’écarte si tôt et que je doive choisir (provisoirement) mon camp. Derrière l’expression triviale, une vraie déclaration de sentiments que je n’avais jamais osé imaginer avant. Quel gourdiflot je faisais alors ! Ce trop plein de respect pour tout ce qui était lié affectivement à Heïm avait fini par annihiler en moi toute initiative sensuelle. Je songe à cette soirée dans nos bureaux, revenus à pied, sous la pluie battante, de Chaulnes au château d’O. Rien n’aurait empêché un débordement charnel, sauvage. Mes putains d’étriqués principes d’alors (j’étais avec Cathou) m’ont privé d’une densité fusionnelle accomplie avec celle que je chérissais en secret. Voilà de la confession de diariste…
18h. Je devrais bien, à terme, m’approprier toute cette période pour casser le béni-oui-oui de l’époque et remettre en complexité ces tranches de vie singulières. Ni rejet, ni idolâtrie, mais sans doute rééquilibrage en faveur des personnes de l’entourage de Heïm.
Plus de nouvelles de Sally, sans doute vexée après avoir appris mon message à la compagne de Karl sur le non désir d’une réunion avec elle et BB en même temps. Mon détachement se confirme : nullement affecté par ce silence et sans enclin pour le rompre. Ce suivi en dents de scie me lasse.

2007

Mardi 17 juillet
Un trio de couples qui s’entend pour faire de ces journées de vacances de sincères moments joyeux, ludiques, dans une improvisation fluctuante.(...)
Le soir, dans le jardin privatif du logis, autour de l'incontournable apéritif, la discussion arrive sur Heïm et ses dérives, ses excès, ses actes impardonnables. Je tente de m'improviser avocat pondérateur face à maman déchaînée et à Jim remonté. Ce qui peut se qualifier de pédophilie d'abord : rapports sexuels entretenus avec Béatrice, fille de Mad qu'il avait adoptée, et avec sa fille biologique Alice. Pour le reste, plus de flou. Je n'ai pas évoqué mon propre cas que je garde pour un témoignage ultérieur.
Maman rappelle l’événement qui lui a fait prendre conscience du grand tricheur-manipulateur qu’est Heïm : aux jeux organisés pour Pâques, avec gros lot pour le vainqueur. A la dernière épreuve (tondre le plus rapidement possible une parcelle de pelouse de la pommeraie) j’arrive en tête, mais Heïm, dans sa souveraine et inique décision, pénalise ma performance pour un vaseux motif de bouchon d’essence non remis (oubli créé de toute pièce, sans doute) ce qui permet de déclarer vainqueur sa fille Hermione. Une démarche bien méprisable pour un adulte qui se prétendait exemplaire patriarche d’une mesnie tout à sa dévotion.
A force d’avoir cumulé ces malhonnêtetés, ces tromperies, ces manipulations à l’égard de ses propres enfants (ou de ceux qu’il prétendait considérer comme tels) il ne restera de sa vie familiale qu’un vertigineux échec.

Dimanche 12 août, 22h50
Après ma mise sur Blog (à accès strictement réservé) des pages les plus dures contre Heïm extraites de ce Journal à taire, maman m’a adressé un long mail qui confirme sa haine viscérale de Heïm le maudit comme j’ai baptisé ce blog dont l’adresse reprend le patronyme réel du sieur. Si je cautionne une grande partie de son ressenti aujourd’hui, je n’approuve pas le paquet de circonstances atténuantes dont elle pare Bruce : toutes ses dérives, passées et actuelles, trouveraient leur source dans cette immersion au château d’O. Que cela ait pu amplifier un peu sa perdition, pourquoi pas, mais rien de déterminant : le bougre avait toute cette salauderie en lui, quel que soit l’endroit qu’il eut fréquenté. Faire du château et de Heïm le déterminisme absolu de sa propre nature manipulatrice me semble nier sa propre responsabilité.


Lundi 10 septembre
Les années 2002, 2003 et bientôt 2004 de mon Journal à taire, mis en ligne sur les sites blogspot.com, laissent explicitement transparaître ma rupture profonde avec l’univers de Heïm, et ce malgré l’amputation, dans cette partie accessible à tous, des passages les plus virulents réservés au Blog Heïm le maudit à l’accès restreint.
Sans doute pour cela que, pour la première fois depuis longtemps, aucune manifestation n’est venue du château d’Au, pour mon plus sain plaisir.

Mercredi 24 octobre
Etape symbolique que j’ai omis de signaler à ma date anniversaire, le 6 octobre dernier : la dernière échéance du prêt consenti à la SCI du château d’Au pour lequel je restais caution solidaire, et ce malgré mon retrait total de cette société civile immobilière. Les 73 175,53 euros prêtés en 1992 ont été remboursés. Cette extinction de dette m’éloigne un peu plus de cet univers dont je n’ai, d’ailleurs, plus de nouvelles depuis quelques mois. Pour enfoncer le coin entre les gens du Nord et mon ancrage lyonnais, je vais interrompre mon contrat avec orange pour mon portable (numéro que je possède depuis le début de ma mise à ce moyen de communication – en 1997 ou 98) et bientôt de même avec la ligne fixe. Evidemment, aucune information de mes nouveaux numéros à Heïm et à sa réduite clique rapprochée. Bon vent à tout cela !
Curieux comme, en quelques années, mon indifférence allergique à cet univers s’est substitué à l’enclin le plus passionné. La sape renouvelée de Heïm a finalement permis ce rejet glacial. Je jauge cette période comme formatrice et sans regretter une once de ce vécu mis à distance. Sans doute que les années écoulées me feront revenir, réfléchir plus globalement sur cette tranche d’existence. En attendant cette supposée sagesse réflexive, je poursuis ma purge existentielle.

Dimanche 18 novembre, 0h10

Cette fois, l’éloignement d’avec Heïm, Sally et autres semble accompli et irréversible. Je ne serais pas étonné de ne recevoir de nouvelles qu’à l’occasion du décès de Heïm, que Karl m’annoncera d’une voix grave, presque recueillie. Je n’éprouverai alors ni peine, ni satisfaction, juste la sensation d’un terme à un chapitre majeur de mon existence. Peut-être la tentative de renouer les liens avec Alice, que je n’aurais jamais dû rejeter de la sorte. Seule figure, avec Karl, que je regrette d’avoir perdue.
Au sortir de ces quelques lignes : sensation d’une si extrême froideur, d’un tel détachement, que j’en viens à soupçonner chez moi, malgré moi, une posture sans grande assise jusqu’au boutiste. Et pourtant… cette indifférence à Heïm et son univers se confirme plus ancrée en moi les années passant même si, pour nourrir les introspections du diariste, je reviens sporadiquement dans ces pages sur ce thème et son actant principal. Se comprendre et jauger sa trajectoire ne se conçoit qu’en se colletant à toute son existence, et notamment aux pans dont on se distingue au jour de la démarche.
Alors pas de faux-semblant : l’extrême modestie d’existence s’est substituée aux avantageuses projections qu’inspirait le château. Et pourtant… aucune nostalgie de cette frénésie.

2008

Dimanche 17 février, 21h50
Tôt sous la couette pour aspirer la quiétude du logis, la plume glissante et le Valparaiso inspiré de Sting. L’équilibre de vie s’affirme, dans la modestie financière certes, mais largement compensée par la douceur existentielle. Les destins de chacun m’ont éloigné de ce qui constituait toute mon existence il y a encore dix ans (enfin, un peu plus). Un tel délaissement de ma part ne peut s’expliquer que par l’extrême mal être que j’avais développé sans me l’avouer. Hypocrite rapport avec plusieurs des gens du Nord, idéologie aux relents mâchés sans conviction, presque machinalement : le faux-semblant minait toute tentative d’être en phase avec ma réalité intellectuelle, beaucoup moins monolithique que le conditionnement heïmien le laissait transparaître. Ainsi mes convictions européennes, ma défense sans concession de l’aventure Union européenne, au point de me fâcher avec Hermione. Moi, souverainiste sous influence, j’ai découvert la portée du combat des défenseurs de l’Europe, et le traité constitutionnel en a été le magnifique summum, malgré la flopée de déjections qui l’ont fait disparaître sous le Non honteux.

Lundi 25 février

Ce matin, depuis Rueil, un petit tour d’appoint sur l’actualité via Google puis un détour sur LDP qui m’informe d’un premier commentaire sous ma dernière ponte.
Stupéfaction à son ouverture : une signataire anonyme me déclare, tutoiement à l’appui, s’être retrouvée sur mes blogs et avoir été émue de me lire, même si les idées défendues ne sont pas partagées. Sombre et alarmiste tonalité lorsqu’elle confie espérer que je ne me rende plus « au château » et encore moins les éventuels enfants que j’aurais pu avoir. L’année 2002 de mon Journal à taire, mis en ligne, semble lui avoir confirmé la « folie » qui imprègne quelques figures de ceux que j’ai mis à distance par l’appellation géographico-brélienne Gens du Nord. Sans doute l’allusion aux violences de Hubert envers sa compagne… lui le salaud de magistrat qui, quinze ans plus tôt, aurait tenté de violer celle qui m’écrit treize ans après notre dernière entrevue (à Misery, dans une ambiance délétère, missionné par Heïm pour déceler le prétendu détournement de biens). Je n’ai, en effet, plus de doute lorsque ce message espère que mon histoire, avec celle que je surnomme BB, se poursuit et qu’il s’achève avec des « bisous d’une autre bb » ! ses initiales à la reprise du patronyme initial de son père, et sous lequel elle s’est mariée. Alice qui tente ce nouveau contact affectif avec moi, c’est une inénarrable émotion qui me submerge.
Avec le recul, combien mes coups de sang contre elle, jusque dans les pages de ce Journal, étaient injustifiés et ne relevaient que de la stratégique et salaude influence de Heïm qui n’aurait pas admis la moindre subsistance de lien entre ceux de son entourage, plus ou moins proche, et cette fille reniée après ses attaques contre le mythe heïmien.
Comme me reviennent les confidences de mal-être de ma sœur de cœur, notamment lors d’une promenade duale dans les terres agricoles qui s’étendent à l’arrière du château d’Au. Mes propres échecs encore chauds, ma conviction d’avoir gâché un fantastique projet de vie, m’empêchèrent de la prendre par la main pour nous affranchir de cette oppressante existence. Leborgne aura eu le mérite de lui permettre un salutaire éloignement.
Son soupir final, « que de vies gâchées », auquel j’ajoute que de liens injustement perdus, ne laisse aucun doute sur la qualité toujours présente de son extrême sensibilité. Au contraire de sa sœur Hermione qui a mis ses idées avant l’affection qui nous liait, Alice se moque de nos divergences idéologiques, du moment que l’humanité partagée peut nous rapprocher à nouveau.
Je forme le vœu qu’elle se manifeste, à mon invitation à m’écrire en privé via l’une de mes adresses e-mail.


Jeudi 28 février, 0h30
A propos du Nord, la suite du contact avec bb (Alice) s’avère contrastée. Sa haine envers Heïm est telle qu’elle juge mes propres critiques (notamment dans les pages clandestines mises en ligne sur un blog à accès restreint) bien minorées.
Vrai que ce qu’elle me rapporte sur le personnage confine à l’horreur : l’abus systématique de ses enfants de sang ou rapportés. Ainsi Hubert qui aurait été, enfant, abusé par lui. Karl, lui aussi, aurait eu à connaître des abus sexuels de Heïm, tout comme Béatrice, fille de Mad, et Alice elle-même. Seule inconnue pour elle : Hermione a-t-elle aussi connu un viol de son père ?
L’affaire, colporté par Heïm, du prétendu viol d’Alice par son frère Hubert est une pure manifestation du soudard : il a lui-même demandé à son fils, après une soirée arrosée, d’aller coucher avec sa sœur, ce qui s’est résumé à un tendre endormissement dans les bras de sa sœurette.
Bien sordide tableau dépeint qui renforce ma conviction d’une manipulation systématique par Heïm pour l’assujettissement conditionné de ses proches. Tout comme cet état physique, annoncé depuis si longtemps en phase terminale, notamment en 1991 ce qui m’a incité, après une forte influence rhétorique, à accepter de prendre la tête, pour la façade légale, de la SERU. Dix-sept ans plus tard, le mourant est toujours vivant !
Vrai aussi qu’un Mitterrand a tenu presque quinze ans avec un cancer aux effets normalement foudroyants. Part du réel et de l’amplifié chez Heïm… sujet à creuser.
Alice n’a, en tout cas, pas de mot assez violent, incendiaire pour caractériser les agissements criminels de son géniteur.


Vendredi 7 mars, 23h30
Suivi contrasté avec Alice qui ne manque pas, à chaque occasion, d’exprimer sa haine et son dégoût de son géniteur, le « miasmique » Heïm. Fascinante et interloquante rupture qui l’a fait me soupçonner de n’être pas encore maître de ma plume et de mes penchants pamphlétaires. Comme si le feu inspirateur opérait encore clandestinement, à mon insu même, en moulant ma forme d’expression excluante. Ces attaques larvaires, revendiquées ironiques, attisent ma grogne tout affective soit-elle.


Mardi 22 avril
Moi, simple adolescent en 1984, j’en savais bien plus que nombre des Mitterrandiens… Cela laisse songeur sur la pratique de l’autruche pour préserver la pureté ressentie de celui qu’on adule.
Finalement, n’ai-je pas procédé de la même façon à l’égard de Heïm ? N’aurais-je pu écouter plus tôt le discours alarmiste de mes parents ? Chacun refuse, à un instant donné, ce qu’il perçoit comme des sources infréquentables…


Dimanche 11 mai
23h40. Sans doute une prise de distance avec Alice, suite à son souhait de m’appeler longuement pour m’expliquer diverses choses, me faire partager sa vision impitoyable de Heïm. Elle n’apparaît pas connectée sur Msn ce soir, peut-être même m’a-t-elle éliminé de ses contacts. Si tel était le cas, je ne relancerai pas. Lassitude de tout cela. Qu’elle continue à être persuadée que je ne suis pas encore en phase avec moi-même, que je reste embourbé dans mes enfers passés…
Ne pas avoir sa radicalité sur ce « vieux fou à enfermer » - selon son souhait lancinant – m’empêcherait toute lucidité ? Et bien j’assume et persiste.


Lundi 12 mai
Alice incendie, à juste raison, la pédophile existence de Heïm, prompt à assouvir ses appétits sexuels sans prise en compte de la réelle liberté de conscience des progénitures engendrées ou recueillies. Pitoyable, lamentable échec outre tombe qui se profile pour celui qui encensait la parole de ses enfants contre les mamans alors en ligne de mire. C’est bien par la parole et les écrits de ses ex ouailles, enfin libérés du joug psychologique, physique et financier, que viendra la fustigation définitive du personnage.
Par petits coups de scalpel, le charisme cultivé laisse transparaître les perversions occultées par une dérision conditionnante.


Lundi 19 mai

Éloignement d'avec Alice qui, une nouvelle fois, s'est fendue d'un absurde commentaire sur mon article Mener, Guerroyer, Mourir dans lequel elle n'a rien perçu de l'allusif qui lui donne raison.

Mercredi 21 mai

Le relationnel avec Alice s’est dégradé davantage. (…) L’insulte suprême pour elle : « le Heïm nouveau est arrivé, berk !!! », n’ayant rien perçu des allusions sévères contre Heïm qui conclut mon article sur Mitterrand.
Qu’elle argumente sur les propos de mon article, et je participerais volontiers au débat créé (comme je le fais avec mes plus virulents opposants sur AgoraVox), mais qu’elle cesse de s’ingérer dans mes choix existentiels et de s’ingénier à m’éclairer sur ce qu’est un VRAI écrivain.

Vendredi 23 mai

Quel paradoxe : Alice a critiqué mes invectives littéraires et, en l’espèce, mon hommage à Mitterrand, justement dans l’écrit qui attaquait implicitement, mais férocement, le géniteur qu’elle exècre tant. Pas de perception des initiales utilisées dans le titre et le rappel par les trois verbes finaux. Rien compris de mon allusion à la Picardie comme autre « plat pays » qui accueille le vieux monsieur. Aucune envie de lui dévoiler la lecture bien plus personnelle de cet écrit au thème public.

Mardi 27 mai 

Autre nouvelle : maman a rencontré Alice hier pour un repas édifiant en révélations. Pas de détails dans son mail, mais la confirmation de l’horreur, du sordide, de la manipulation. Ce jour, par le biais de Facebook, Alice m’a demandé d’être son ami. J’ai accepté, mais je ne l’ai pas enregistrée sur Msn.

Mercredi 25 juin
Stupeur en consultant le contenu des derniers commentaires sur AgoraVox concernant mon article Unis dans la malignité : Alice s’acharne, dans un pavé haineux, contre le portrait que j’ai donné de moi.


Lundi 30 juin
Le courriel de maman à Alice, après lecture de notre échange incendiaire sur AgoraVox, m’a rassuré quant à la légitimité tant de ma réaction que des arguments avancés.



Mardi 8 juillet

Les atrocités de Heïm se sont cumulées au fil des ans, au point que nous évoquions l’hypothèse d’un cadavre laissé au Limeray avec la disparition d’une certaine Suzie D. Fantasme ou sinistre vérité cachée ? Me reviennent certaines déclarations de Heïm, lors de soirées avinées, faisant allusion à un possible acte meurtrier comme l’initiatique capacité à aller au bout du rapport à l’être humain. 

Mercredi 9 juillet 

« L’homme qui forniquait les enfants » : voilà ce qui pourrait résumer la facette criminelle de Heïm. Que je ne renie pas mon passé ne m’interdit pas l’écoute de témoignages dont on ne voit pas l’intérêt du caractère mensonger, puisqu’ils s’abstiennent de toute stratégie judiciaire.
Il me faudra répondre ici, pour la trace nécessaire, au dernier courriel d’Alice. Avant cela, la part d’enfer vécue par l’entourage juvénile de Heïm se doit d’être consignée pour développements ultérieurs.
Béatrice, la plus âgée des enfants, très vite objet sexuel du pédocriminel enclin à assouvir ses fantasmes scatologiques avec elle. Réduite à l'état de boniche du château d'O, elle n'a pu bénéficier d'aucune scolarité et n'a pu espérer, une fois virée du vas clos, qu'un boulot de ménages pour survivre, vaille que vaille, encore terrorisée, à plus de quarante ans, par ce passé entre esclavage sexuel et domestique. Sa mère s'est rapprochée d'elle, hantée par la faute majeure d'avoir laissé sa fille en pâture à cet ogre de chairs fraîches.
Alice, la fille aînée de Heïm, baisée contre sa volonté – ce qui la fera passer, dans un message lancinant du violeur, comme une jeune fille frigide ! Elle a aussi été dissuadée, sous couvert d'un choix apparent laissé, de se lancer dans des études de droit. Son niveau d'expression écrite, évalué des années plus tard à celui d'un enfant de quatrième, pèsera le reste de son existence comme un douloureux handicap. Certes, elle aurait pu tenter de résister à la pression de son géniteur, voyant Hubert et moi entreprendre ces études, mais le contexte ne lui a pas permis cet affranchissement. Reconnaître son incontestable souffrance, ce n'est pas accepter d'elle toutes les critiques.
Que Heïm ait monté ses proches les uns contre les autres me semble aujourd’hui une évidence. La plus scabreuse illustration en est la tentative de "tenir" son futur magistrat de fils en le convainquant, un soir de plus d’alcoolisation totale, d’aller fourrer sa grande sœur. Hubert n’exaucera pas le vœu pernicieux de son salaud de père, s’effondrant dans les bras accueillants de la soeurette. L’échec du projet n’empêchera pas Heïm de déclarer à maintes reprises, notamment après le départ fracassant d’Alice, que le nouvellement nommé substitut du procureur a commis l’irréparable, le « viol de sa sœur ». Venant de celui qui n’a quasiment laissé aucun de ses enfants de sang ou confiés indemnes, cela pourrait apparaître comme cocasse si le sujet ne rendait la chose ignoble et l’individu sinistre. 
L'enfant Hubert a lui aussi subi le pire du crado sexuel à Pontlevoy, obligé de participer aux ébats entre sa mère (aujourd'hui artiste-peintre aux Etats-Unis) et l'initiateur Heïm qui poussera le vice jusqu'à faire du déjà illicite trio un quatuor zoophile avec le chien ! L'abbaye de Pontlevoy servant de cadre aux déviances dégénérées : le tableau écœure...
Karl, dont je n’ai plus de nouvelle, aurait lui aussi été fourni par sa mère à la sexualité gargantuesque de Heïm. Jamais il ne s’est confié à moi, comme jamais je ne me suis épanché à lui sur ce sujet.
Pourquoi serait affabulation pour les autres ce qui, pour moi, est une vérité : non point que Heïm m’ait violé au sens strict du mot, mais une fellation réciproque couronna, alors que je n’avais pas encore douze ans, une particulière initiation au sexe avec visionnage préalable de petites séquences filmées avec quelques-unes de celles que je dénommais, par le cœur, mes "mamans". Comme dirait Ardisson, « sucer est-ce tromper ? » et se faire sucer par un préado est-ce violer ? Voilà qui est inscrit, à trente-huit ans, rompant la chape de plomb que Heïm avait évidemment réclamé sur ce sujet… Dix ans tout juste après la prescription de ses crimes.

Vendredi 11 juillet

Revenir un peu, avant le départ avec ma BB, aux terribles conséquences engendrées par les impardonnables exigences et pernicieuses suggestions de Heïm.
L’infect exploit du vieux est d’avoir obtenu la séparation de fait entre ceux qui l’entouraient, chacun ayant un type de ressentiment à son égard inconciliable avec ceux des autres. Mes brèves retrouvailles avec Hermione, puis Alice, interrompues à la première bisbille venue, le démontrent avec force. A chaque fois, une approche de la vie et des jugements incompatibles. L’affectif amplifie l’outrance : inexorable point de rupture. Ainsi, chacun dans son coin, Heïm peut finir tranquillement son existence, sans menace judiciaire qui le ravalerait à la minable série des criminels sexuels.
Alors à moi, sans concession, de rapporter, de témoigner sur ce qui peut éclairer la vérité d’être de Heïm, sans nier ses apports, ses talents, mais à des univers des panégyriques à la Franck Roc, un de ceux qui ont laissé leur enfant en gage charnel de leur allégeance. 

Dimanche 13 juillet

La (re)découverte du Journal de Léon Bloy et de sa première étape, Le mendiant ingrat, me laisse un sentiment ambivalent à rapprocher de celui que j'ai à l'égard de Heïm qui me la fait connaître.
Heïm le maudit a su jouer des circonstances, monter les uns contre les autres, faire régner une terreur sourde pour mieux contrôler son petit monde et assouvir ses appétits charnels. Je ne nie rien des apports intellectuels, d’un sens de la dérision, d’une plume sans pareille… mais je m’affranchis de tout refoulement, de toute dissimulation, de tout silence en forme d’oubli.
Merveilleuse, l’enfance châtelaine ? Le cadre oui. Pour le reste, les contrastes s’imposent. Pour une promenade partagée avec les enfants sur les chemins alentour on peut soustraire une dizaine de repas d’engueulades dans la salle à manger du château d’O. Les interminables monologues de Heïm, selon la conjoncture mesnique, se concentraient contre l’unique mis au pilori – les autres obligés d’écouter le flot ordurier, assassin – ou balayaient la tablée réglant leur compte aux présents, mais aussi, plus férocement encore, aux absents.
Pour Heïm, point de Journal tenu : que pourrait-il aborder sans révéler l’extrême falsification de son rapport à l’autre, tout entier dévolu à l’exploitation qui peut en être tirée.
Qu’aurait provoqué mon refus, en 1991, de prendre la responsabilité juridique de la SERU et du reste ? Une mise à l’écart certaine et toutes les humiliations attenantes. Connaissant mon peu d’enclin pour le modèle social classique, il me "tenait" immanquablement.
Je ne souhaite pas un instant atténuer ma responsabilité, mais je ne veux pas occulter l’amont de ma décision et ses révélatrices coulisses.
Qu’il puisse me croire encore aujourd'hui un tantinet bienveillant à son égard me ravit : enfin il a droit a sa dose de double langage et de manipulation. Si j’apprends que la Camarde est sur le point de le faucher, je lui révélerai les parts manquantes, pour que le choc le désarçonne…

Lundi 14 juillet

Quiétude dans ces moments pour mieux fouiller le passé. Une relecture de mon témoignage du Journal, notamment des années 91-95, laisse apparaître un naïf, mais sincère, engagement pour mener au mieux les activités et une pressurisation déséquilibrante des finances pour subvenir aux besoins de la vie châtelaine sur l’impulsion implacable de Heïm. Cette activité a permis de payer cash la moitié du château d’Au : principal bénéfice de la dévotion de proches encore confiants dans les plans du directeur des collections. A nous les ennuis juridiques, à lui la garde sacrée du stock et de l’idée. Chez les autres, les irrégularités devenaient des crapuleries malhonnêtes ; chez lui cela s’érigeait comme légitime combat contre l’Etat républicain prévaricateur. Vieux comme le vice humain : orienter la conscience des ouailles pour ennoblir et justifier le pire.
Cette descente en règle du système heïmien, ruminée depuis une dizaine d’années (le fait déclencheur conscient en a été la trahison de sa parole dans l’optique mirifique de fiançailles programmées avec Sandre : là le visage exploiteur, centré sur son seul bien être quitte à désespérer ceux qu’il avait encensés, m’est pleinement apparu) n’empêchera pas ma réponse affective au dernier courriel d’Alice. 

Mardi 15 juillet
En en sachant un peu plus sur les crades coulisses des années 80 et 90, j’admets que mon Journal pamphlétaire ressemble à un Journal à œillères, non point parce que je ne voulais pas savoir, mais parce que je n’avais aucun moyen de savoir, sauf à prendre au pied de la lettre ce que Heïm présentait comme de l’outrance humoristique.
La meilleure preuve de la sincérité de mon engagement en sont les multiples mots d’encouragement et dessins affectueux d’Alice qui jalonnent les premiers manuscrits du Journal. Jamais, au cours de ces années, et nous étions tous les deux majeurs et aptes à raisonner, Alice n’a laissé perler la moindre réserve tant pour le style que pour les propos. Et elle était la seule à qui je passais à lire si souvent les pages de ce témoignage d’une gestion cahoteuse. Il faut croire que ses œillères étaient au moins aussi déployées que les miennes.
Même si, aujourd’hui, elle juge trop timorées les passages contre Heïm de mon Journal à taire, elle ne peut nier la profondeur de mes divergences avec ce personnage.
Ma limite, c’est la négation de tout ce que j’ai été, fait et apprécié. Devrait-on brûler tous les ouvrages de Maupassant, Gide et Céline parce qu’ils ont été respectivement malade sexuel, pédophile et antisémite ? Depuis quand le critère du goût artistique doit-il passer par le crible de l’exemplarité des artistes ? Quel triste et insipide univers culturel ce serait…
Alors voilà : prêt à nourrir ces pages des témoignages extérieurs, sans retenue, mais pas à tirer un trait sur ce que j’ai été et ce que j’ai écrit, quitte à déclencher ironies et moqueries des médiocres qui, eux, n’ont rien produit d’autre que leurs piques à très courte portée. Qu’il s’acharnent, qu’ils poursuivent, qu’ils s’essoufflent, c’est pour moi la garantie que je suis dans le juste.

Mardi 22 juillet
Régal, hier soir, à la Table d’Oste (ou table d’hôte) : une planche des principaux mets gascons avec une bouteille de rouge régional. Une partie de la conversation sur le nouvel éloignement d’avec Alice : ma BB me conseille de la rappeler et de l’écouter. Soit. La démarche affective pourrait dépasser le contentieux existentiel. Je n’ai d’ailleurs jamais remis en cause son terrible témoignage. Je n’éprouve pas cette haine absolue de Heïm, mais ne réprouve pas qu’elle la ressente. Voilà le point d’achoppement : qu’elle admette un ressenti autre. Pas très en mots, ce matin.


Dimanche 27 juillet

Je fais découvrir à pôpa le contenu de la polémique entre Alice et moi : au-delà de la violence de l’échange, il ressent toute l’affection qui nous relie. Il a raison, mais notre approche du monde et la gestion du passé parasitent le lien.
A propos de Heïm, il me confie les doutes qu’il a eus, à l’époque de la JFPF, sur la réalité d’un alitement maladif de son créateur au moment même où il demandait à ses collaborateurs un engagement physique contre des adversaires désignés. Ce serait le comble qu’en plus du manipulateur, de l’exploiteur et de l’abuseur sexuel se greffe un pleutre aux éclats de matamore. J’ai encore du mal à le croire, mais le doute émerge.
Il faudrait avoir le témoignage des plus proches qui ont croisé sa trajectoire multi facettes au cours du demi siècle pour espérer tracer une réalité de la part immergée du personnage.
J’avance dans la lecture du Mendiant ingrat de Bloy et je découvre les emprunts de Heïm à cet auteur. Par exemple le projet d’ouvrage qui devait se titrer Heïm ?... Connais pas ! est calquée sur l’exclamation d’Alphonse Daudet lorsqu’on lui parle de Bloy, et que celui-ci rapporte le 8 avril 1895. D’autres rapprochements m’attendent.
Sur le fond, la volonté de pèlerin de l’Absolu de se faire haïr par le maximum de gens tranche avec la première partie de la vie de Heïm, à l’affût de toutes les adorations possibles, mais semble devenir, de fait, sa condition finale par les abus de ce consommateur de pâte humaine…


Lundi 28 juillet
Petit travail littéraire de ces deux derniers soirs : donner un titre à chaque année de mon Journal mise en ligne afin de l’identifier autour d’une image forte.
La Renaissance à œillères vise 1995 et mes multiples complicités littéraires (notamment avec Chapsal et Kelen) sans prendre conscience du cas Heïm et de ses intolérables manipulations qui se poursuivent dans l’impunité.
Sur les Cendres, au sortir du gâchis engendré, n’empêche pas la rencontre épistolaire avec celle que je surnomme Sandre dès 1996. La correspondance et le lien se poursuivront en 1997, d’où le choix de Persistance duale, et ce malgré les ordurières attaques verbales, toujours revendiquées comme affectives, de Heïm et de ses sbires féminines contre celle avec qui je devais me fiancer.


Vendredi 15 août, 23h30
Nuit dernière, sale dérive des songes : inversion totale de ma situation tout en ayant conscience que cela ne correspondait en rien à mon enclin naturel. Me voilà durablement présent au château, juste à cette époque d’anniversaire quasiment oublié de mon conscient, et me demandant quand je pourrais m’éclipser quelques jours et sous quel prétexte. Un malaise profond dans ma situation cauchemardée qui me rappelait celui des années 96 et 97 lorsque j’ai commencé à mal supporter cette ambiance de vie. A fuir dès que l’occasion se présentait, se presser dans les pièces communes pour éviter les autres résidents, espérer le plateau-repas dans sa piaule châtelaine pour se dispenser des interminables et nauséeux repas alcoolisés où Heïm rabâchait jusqu’à l’inaudible.


Samedi 16 août

Ma thèse, pour le commentaire anonyme d’hier : un missi dominici d’Alice. La formule « il est mille fois meilleur que son style » signe son attaque affective.
Quand saisira-t-elle que j’écris au fil de la plume, quasiment d’instinct, et que si ça ne vient pas, je délaisse la plume attendant un moment plus inspiré. Que cela respire l’artificiel, pourquoi pas ; son intervention s’apparente elle à de l’acharnement.
Vaine visée, elle n’obtiendra pas l’once d’une concession sur ce plan. Et même si, un jour, mes charges contre Heïm rejoignent ses vues, ce sera avec le même goût des mots, de la formule, du rythme incendiaire.

Dimanche 14 décembre, 22h12
Rien dit à BB de l’appel, vendredi en fin de journée, de Heïm. Auditivement éméché à coups de Bisons il s’est adonné à son refrain de circonstance : mélange d’affection laudative, d’outrances décalées et cherchant à comprendre ma défiance et l’éloignement cultivé. J’ai campé sur ma stratégie : pas d’éclats qui le conforteraient dans ses certitudes, même s’il a bien compris le changement de tonalité dans les dernières années de mon Journal mis en libre accès sur le Net. Il a aussi croisé l’une des dernières attaques contre moi de sa fille Alice qui me traitait de « nouveau Heïm » ! Rien à lui signaler, donc, sauf le minimum affectif pour qu’il s’illusionne encore un peu.
Toujours les mêmes fadaises de sa part : petite lèche sur mon style, mon « talent d’écriture », mais immédiate justification de la non publication de l’époque. Toujours curieuses ces remontées d’une autre ère d’existence… Le garder à portée, sans claquer sa porte avec haine, pour mieux rendre compte de sa fin. De salaud à leurre de salaud…