vendredi 1 janvier 2016

2004

Samedi 3 janvier
Aucun vœu envoyé à Heïm et son entourage. Pas plus qu’à Sally ou Hermione. Moins je me manifesterais auprès d’eux, mieux je me porterais. Le dernier courriel du feu inspirateur m’a révulsé et n’a fait qu’accentuer ma méfiance à l’égard de tous ceux qui conservent un rapport avec lui. Qu’il en sache le moins possible sur ma vie. Ne devrais-je pas profiter de ce déménagement pour couper définitivement tout lien ?


Jeudi 8 janvier
Mardi soir, Heïm parvient à m’avoir au téléphone en masquant son numéro. Occasion de s’expliquer sur son dernier courriel et de jouer la carte affective. Je donne le change et reçois durant trois quarts d’heure un quasi monologue sans nouveauté : toutes les merdes sorties de son univers, le voilà plus riche que jamais, la réussite en marche ; circonvolutions autour du Gâchis qu’il veut voir paraître mais contre lequel son entourage fait blocus ; distinction qu’il fait entre moi l’écrivain qu’il apprécie et mes choix existentiels qui m’éloignent. Il ponctue ses antiennes d’élans affectifs que je trouve déplacés au regard de la minceur actuelle de notre lien. A plusieurs reprises, il rend hommage à son neveu Henri Lourdot et à sa fille Hermione, deux exceptions de son entourage à avoir réussi.
Cette primauté au fric et à la volonté de paraître comme critère d’excellence de vie m’écoeure. Et c’est lui, et sa clique suiveuse, qui reprochait à Sandre son matérialisme outré ! A s’en tordre de rire jaune… Mais, évidemment, cela n’a rien à voir entre gens intelligents, de bonne compagnie. On ne peut les comparer avec cette petite médecin arriviste. Quelles grosses ficelles dans leur fonctionnement intellectuel et pseudo éthique.
Heïm semblait intrigué par mon aveu d’un malaise malgré moi, lors de mes dernières visites. Comme si je suais l’inadaptation à ce milieu fui à partir de 1999 (et, en fait, dès 1997). L’enthousiasme affiché pour les évolutions matérielles au château d’Au ne peut masquer une défiance définitive pour les travers qui l’animent.
Cultiver ce double et contradictoire objectif : préserver Heïm d’un chagrin supplémentaire, et maintenir un ascendant symbolique par la double face de mon positionnement. Conciliant lors des quelques échanges oraux, intolérant à l’écrit pour rééquilibrer la tonalité globale.
Si certains trouvent l’extase dans l’amassement financier et l’abondance matérielle, moi je déniche mes sources jubilatoires dans le témoignage littéraire sans bride. Si j’avais à résumer l’essentielle leçon tirée de ces années châtelaines : ce n’est pas dans le nombre d’hectares possédés et dans les siècles cumulés pour sa terre et sa demeure que l’on tirera forcément l’envergure et la qualité de son existence. Vivre à sa mesure pour qu’un terreau plus sain favorise l’épanouissement de ses éventuels talents… Ni dieu, ni Marx, ni Heïm !


Lundi 19 avril, 0h30
Toujours dans l’aménagement de la pièce principale. Chaque construction dans ce lieu me libère un peu plus du monde de Heïm, lequel m’a d’ailleurs laissé un message il y a une dizaine de jours, me demandant de le rappeler, si j’en avais l’envie. Eh bien justement non ! Plus une once ! L’effondrement de cet univers, sans renier le passé, s’impose à moi, naturellement.


Mercredi 15 septembre
Mon passage éclair au château d’Au m’a permis de découvrir les divers aménagements de la propriété, et de partager un déjeuner alcoolisé avec Heïm. Moment affectif, mais sans plus pour l’impact émotionnel. Ses activités se diversifient et fonctionnent, paraît-il. Quelques allusions aux dettes du passé qu’il éponge encore, une révélation de ma part sur la vie sentimentale de Sally, et puis les mêmes rengaines…


Mardi 28 septembre
Rapide entretien avec Sally au tél. Après mes révélations enivrées à Heïm, elle a dû subir le flot ordurier du bonhomme par courriels vengeurs. Le style brut lui souhaitait « qu’elle crève au plus vite pour rejoindre son con de frère ». Voilà de l’affection dénaturée par le vitriol d’un « vieil alcoolique » (selon sa propre qualification).
Je devais, moi, révéler mon rôle d’informateur aviné dans cette affaire peu glorieuse. Sally n’a pas semblé m’en vouloir…

Jeudi 23 décembre
Hier encore, Heïm sollicite un peu de mon temps pour me témoigner son affection exacerbée par quelques Bisons et tenter de comprendre, par mon éclairage, le pourquoi de ces éloignements en série qui ratatinent son Noël à un séjour chez sa vieille maman. Alternant les vagues d’effusion, les à-coups de véhémence (contre Sally, notamment), l’auto-célébration et la quasi flagellation, il souhaite saisir ce qu’on peut bien lui reprocher.
Je ne cède pas à sa démarche, demeure sur la réserve, ne lui réitérant que du réchauffé, lui laissant le soin de compléter les vides par sa logorrhée désespérée. J’assiste au rythme périodique de ses cafards, à l’inexorable réalisation de ce qu’il appréhendait vingt ans plus tôt pour sa fin d’existence : rejeté par la plupart, riche et isolé hobereau dans son domaine. Il cumule les hommages à mon endroit et j’exécute mon rôle sans concession. Que peut-il subsister de ces faux-semblants si ce n’est la conscience des désillusions cumulées ?


Dimanche 26 décembre
Oublié de noter l’incohérence de Heïm lors de son dernier appel. Voulant connaître les reproches que j’avais à lui faire, j’évoque sa volte-face à propos de la publication de ce Journal : en guise de justification, il me rappelle ma visite à l’hôpital du Val de Grâce, lors d’une de ses hospitalisations, au cours de laquelle ma réserve à ce projet l’aurait décidé à abandonner ! C’est bien tout le contraire qui a eu lieu : c’est mon enthousiasme qui m’a fait accroire à sa ferme volonté de m’éditer et qui m’a lancé sur le titanesque labeur de l’index général. Jamais je n’aurais entrepris ce fastidieux travail sans promesse d’ouvrage au final, mon masochisme supposé ne va pas jusqu’à la crétinerie.
Tenant à ma nouvelle ligne de conduite, je n’ai pas souligné sa confusion de dates et de moments.

Aucun commentaire: